Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
365
SUR LES OBSCÉNITÉS.

malhonnête à faire que cette action du fils de David. Il n’est pourtant point malhonnête de la réciter, de la prêcher et de imprimer. Saint Paul eût-il pu défendre d’en faire mention ; eût-il voulu interdire la lecture de la Bible ? Ne voulait-il pas bien que ses lettres fussent lues, et que les enfans mêmes sussent ce qu’il écrivait aux Romains sur la vie abominable des gentils ? Il faudrait être fou pour s’imaginer que le précepte d’Isocrate signifie qu’un écolier ne devait jamais rendre compte de sa lecture de l’Iliade, ni à son pédagogue, ni à son père, touchant les endroits où il est parlé des adultères des dieux.

Si l’on voulait disputer à toute outrance, l’on alléguerait qu’il est malhonnête de dérober, de trahir, de mentir et de tuer, et qu’il n’est point malhonnête de faire mention de ces crimes ; mais comme il est évident que le précepte d’Isocrate ne concerne que les péchés opposés à la chasteté, on serait un pur chicaneur si on lui faisait cette objection. Les cyniques et les stoïques s’en servaient pour justifier leur dogme, qu’il n’y a nulle saleté dans aucun mot. Cicéron ne les réfute que par la supposition de la honte naturelle [1]. Il est temps de finir cette longue dissertation. C’est une matière plus difficile à traiter qu’on ne s’imagine. J’espère que ma justification paraîtra très-clairement, non pas à ceux qui ont trop de présomption pour pouvoir connaître qu’on les désabuse, mais à ceux qui s’étaient laissé entraîner à croire ou sur le témoignage d’autrui, ou sur des raisons mal approfondies. S’ils ont été excusables d’avoir été éblouis par des apparences spécieuses avant que j’eusse donné ces quatre éclaircissemens, ils ne peuvent pas espérer de l’être en cas qu’ils s’obstinent dans leur première illusion. Ils eussent bien fait de suivre les ordres de Jésus-Christ : Ne jugez point selon l’apparence, mais jugez d’un droit jugement [2]. Ils se sont fiés aux premières impressions des objets et n’ont pas attendu les raisons des deux parties. Cela est toujours nécessaire et surtout quand il s’agit de juger d’un écrivain qui ne suit pas les manières les plus communes. Il faut d’abord soupçonner qu’il a ses raisons, et qu’il ne ferait pas cette démarche si par un long examen de sa matière il n’en eût envisagé tous les côtés avec plus de soin que ne le font ceux qui se contentent de lire. Ce soupçon très-bien fondé devait inspirer beaucoup de lenteur et de patience, par rapport à la suspension de son jugement. Mais ce qui est fait est fait. On peut seulement espérer que les secondes pensées seront meilleures.

  1. Nec verò audiendi sunt Cynici, aut si qui fuerunt Stoïci penè Cynici, qui reprehendunt, et irrident, quòd ea, quæ re turpia non sint, nominibus ac verbis flagitiosa ducamus : illa autem, quæ turpia sint, nominibus appellemus suis. Latrocinari, fraudare, adulterare re turpe est, sed dicitur non obscænè : liberis dare operam re honestum est, nomine obscænum : pluraque in eam sententiam ab eisdem contra verecundiam disputantur : Nos autem naturam sequamur, et omne quod abhorret oculorum auriumque approbatione fugiamus. Cicero, de Officiis, lib. I, cap. XXXV.
  2. Évangile de saint Jean, chap. VII, vers. 24.