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ÉCLAIRCISSEMENT

raît une Relation du quiétisme [* 1] dans laquelle on voit un très-grand détail des abominables impuretés des sectateurs de Molinos. Témoignez-lui que la lecture d’un tel ouvrage vous a choqué, et que la pudeur ne saurait souffrir de telles choses ; il vous répondra qu’il est nécessaire de découvrir l’abomination de ces faux dévots, afin de désabuser beaucoup de personnes qui ont du penchant vers le quiétisme ; et qu’ainsi l’auteur de la relation est louable d’avoir fait connaître au monde les actions infâmes de cette secte. Vous trouverez cent autres personnes qui conviendront avec vous que l’on ne saurait avoir trop d’égards pour les oreilles pudiques, et qui déclameront avec un grand zèle contre Suétone, et contre Lampridius : mais demandez-leur quelques jours après, s’il faut excuser les historiens qui ont raconté tant de choses abominables des Albigeois, ou des Fratricelli, ou des Adamites, ou des Picards, ou des Lollards, ou des Turlupins, ils vous répondront que le caractère d’historien et de zélé catholique les engageait à faire savoir à toute la terre les obscénités de ces hérétiques précurseurs des luthériens.

Les papistes d’Angleterre, fugitifs en France ou en Espagne, ne choquaient point les chastes oreilles de leurs bons amis, lorsqu’ils publiaient des satires contre la reine Élisabeth, où ils la faisaient paraître comme un monstre d’impudicité. Les ligueurs ne blâmaient point les libelles où l’on voyait des descriptions impudentes de l’impureté de la cour de Henri III.

La même inégalité de conduite se remarque parmi les protestans. Ils ne se plaignaient point que ces libelles contre Henri III, leur persécuteur, ménageassent peu les chastes oreilles. Buchanan : qui publia un ouvrage sur les impudicités de Marie, reine d’Écosse [1], est un homme de bienheureuse mémoire parmi tous les presbytériens. Cependant c’était un ouvrage qui salissait horriblement l’imagination. Nicolas de Clémangis, Pélagius Alvarez, Baptiste Mantuan, et plusieurs autres qui ont fait une peinture si naïve et si sale des impuretés de la cour de Rome, sont regardés par les protestans comme des témoins de la vérité. Ils les citent encore aujourd’hui en toute occasion, et il y a peu de livres de controverse où ils n’en aient donné de fort longs passages. Vous en trouverez un grand nombre dans un ouvrage français du célèbre du Plessis Mornai [2]. Il n’y a pas long-temps que trois ministres [3], dont les deux premiers sont Suisses et l’autre Français, ont renouvelé ces citations. Henri Étienne, qui débite tant de contes sales dans son Apologie d’Hérodote, n’a point déplu à son parti : on a jugé que cet ouvrage était propre à tour-

  1. * C’est de la Relation sur le quiétisme, par Bossuet, que Bayle parle ici.
  1. Voyez ci-dessus, cit. (9) de l’article Buchanan, tom. IV, pag. 217.
  2. Intitulé le Mystère d’Iniquité.
  3. M. Heidegger, in Historiâ Papatùs, l’an 1684, in Magnâ Babylone, l’an 1687 ; M. Zuinger, in Tractatu de Festo Corporis Christi, l’an 1685 ; et M. Jurieu, dans ses Préjugés légitimes contre le Papisme, l’an 1685.