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ÉCLAIRCISSEMENT

cence nous peut suggérer ? Il ne faut pas croire que ces explications scandalisent la pudeur, elles sont nécessaires à ceux que Dieu destine à la direction, et qui doivent s’appliquer à connaître les péchés dans toutes leurs circonstances, pour découvrir aux pécheurs l’état où ils sont, et afin de porter à la pénitence ceux qui veulent véritablement se convertir. Que si vous voulez toujours que ces traités scandalisent la pudeur, trouvez une science qui y soit plus opposée que l’anatomie, où toutes les parties du corps sont contemplées dans l’état de pure nature ; cependant y a-t-il quelque loi contre ceux qui s’en mêlent[1] ?

Le parti des anti-puristes serait beaucoup plus nombreux si la vanité ou si la malignité des esprits critiques n’engageait plusieurs écrivains à passer dans l’autre faction. Il ne paraît presque point de bon livre contre lequel on ne compose. On l’épluche de tous les côtés, et si l’on y trouve des pensées ou des expressions qui ne soient pas assez délicates par rapport à la passion impudique, on ne manque pas de faire éclater beaucoup de zèle pour les intérêts de la pudeur offensée[2]. On se jette à corps perdu sur ce lieu commun, et l’on fait bien des vacarmes. Rien n’est plus facile que cela, et rien n’est plus propre à prévenir le public. Un censeur, qui prend la chose sur ce ton-là, se fait louer des dévots et du beau monde ; on le regarde comme un protecteur de la pureté. Voilà ce qui le détermine à se déclarer pour les puristes. Il se donne du relief en deux manières ; car il se produit comme une personne qui travaille pour les bonnes mœurs, et qui fréquente le monde poli, et non pas les tabagies[3] où l’on contracte l’habitude de parler grossièrement, comme le remarque plus d’une fois le critique de Mézerai. Artifice et ruse d’auteur que tout cela : l’intérêt du bien honnête n’y est appelé que pour y former un beau dehors. Beaucoup de gens, qui ne critiquent les livres qu’en conversation, suivent les traces des critiques imprimées.

Combien croyez-vous qu’il y a eu de personnes qui ont crié contre le livre de Contactibus impudicis[4], et contre l’Histoire des Flagellans, parce que M. Boileau le docteur n’était pas de leur cabale dans la faculté de théologie ! S’ils eussent été contens de l’auteur qui est un homme célèbre par sa probité et par son savoir, ils eussent trouve fort bon qu’il eût fait connaître vivement les obscénités qu’il a censurées ;

  1. M. Devaux, prévôt de la compagnie des maîtres chirurgiens de Paris, a publié un ouvrage dont parle le XXIe. Journal des Savans, 1703. Les journalistes, quoiqu’ils condamnent les grossièretés de l’auteur, en rapportent quelques-unes.
  2. Luther, dont les expressions n’étaient pas ménagées, critiqua Érasme. Voyez la Réponse de celui-ci, pag. 34, 35.
  3. Ce mot signifiant, ce me semble, les lieux où l’on va fumer, manque dans le Dictionnaire de Furetière.
  4. Qu’il y avait d’autres livres très-pernicieux, imprimés à Paris, composés par des docteurs, contre lesquels la sacré faculté devait fulminer anathème, où cependant elle était muette ; ce fut là qu’il nomma une suite de livres, entre lesquels celui de M. Boileau, des Attouchemens sales et impurs, eut sa place. Affaire de Marie d’Agreda, pag. 11.