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SUR LES OBSCÉNITÉS.

ner. Je n’aspire point à la politesse du style, j’ai déclaré dans ma préface que mon style est assez négligé, qu’il n’est pas exempt de termes impropres et qui vieillissent, ni peut-être même de barbarismes, et que je suis là-dessus presque sans scrupules. Pourquoi me piquerais-je d’une chose dont même de fort grands auteurs domiciliés à Paris [1], et membres de l’académie française, ne se sont pas souciés ? Pourquoi se gêner dans un ouvrage que l’on ne destine point aux mots, mais aux choses, et qui, étant un assemblage de toutes sortes de matières, les unes sérieuses, les autres risibles, demande nécessairement que l’on emploie plusieurs espèces d’expressions ? On n’est point obligé là aux mêmes égards que sur la chaire ; et si un prédicateur se doit abstenir de cette phrase, Ceux qui engrossent une fille doivent l’épouser ou la doter, il ne s’ensuit pas qu’il ne s’en puisse servir sans grossièreté dans une somme de cas de conscience. Tant est vrai que selon la nature des livres on peut s’exprimer ou non d’une certaine manière.

Mais si quelque chose peut rendre excusables les écrivains qui se mettent au-dessus de je ne sais quel raffinement de délicatesse qui s’augmente tous les jours, c’est qu’on ne voit point de fin là-dedans ; car si l’on veut être uniforme, il faut condamner d’obscénité un nombre infini de mots dont notre langue ne peut se passer, et l’on peut facilement réduire à l’absurde les écrivains qui se piquent d’une si grande chasteté et délicatesse d’oreille. On peut leur prouver que dans leurs principes il n’y a point de précieuses ridicules, et qu’au contraire les femmes qu’ils qualifient ainsi sont très-raisonnables ou très-habiles à raisonner conséquemment. Qu’ils me disent un peu pourquoi le verbe châtrer leur paraît obscène. N’est-ce point à cause qu’il met dans notre imagination un objet sale ? Mais par la même raison on ne saurait prononcer le mot d’adultère sans dire une obscénité encore plus forte. Voilà donc un mot qu’il faudra proscrire. Il faudra proscrire aussi les termes de mariage, de jour de noces, de lit de la mariée, et une infinité de semblables expressions, qui réveillent des idées tout-à-fait obscènes, et incomparablement plus choquantes que celle qui effrayait la précieuse de la comédie. Pour moi, mon oncle, c’est une précieuse ridicule qui parle, tout ce que je vous puis dire, c’est que je trouve le mariage une chose tout-à-fait choquante. Comment est-ce qu’on peut souffrir la pensée de coucher contre un homme vraiment nu [2] ? Selon les principes de nos puristes rien ne serait plus raisonnable qu’un tel discours, et il n’y a point d’honnête fille qui ne dût chasser de sa chambre tous ceux qui lui viendraient dire qu’on a dessein de la marier. Elle serait en droit de se plaindre de ce qu’on ménage si peu sa pudeur, qu’on ne

  1. M. le Laboureur, par exemple, (voyez la préface de ses Additions aux Mémoires de Castelnau) ; et M. de Mézerai, secrétaire de l’Académie française.
  2. Molière, Précieuses ridicules, sc. IV.