Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/336

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
328
ÉCLAIRCISSEMENT

espèce de livres les gens sages distinguent fort bien entre la personne de l’auteur et ce qu’il écrit.

III. Voyons si les protestans ont été plus rigoureux. Je ne pense pas que les consistoires se soient jamais avisés de censurer Ambroise Paré, dont les livres d’anatomie en langue vulgaire étaient remplis de choses sales. Il y a beaucoup d’obscénités dans les commentaires de Joseph Scaliger sur les Priapées et sur Catulle. Il y en a encore plus dans le commentaire de Janus Douza sur Pétrone. L’un de ces deux écrivains était professeur à Leyde, l’autre était l’un des curateurs de l’académie. Ils ne perdirent rien de leur autorité, ni de la considération où ils étaient ; on n’eut point d’égard au tocsin que Théodore de Bèze sonna contre eux dans une épître dédicatoire aux États Généraux [1]. Daniel Heinsius, professeur dans la même académie, a joui de tous les honneurs qu’il pouvait prétendre. Il fut l’un des secrétaires du synode de Dordrecht, et il reçut en cent occasions plusieurs témoignages de l’estime qu’on avait pour sa personne. Il est pourtant vrai qu’il publia des poésies qui ne sont rien moins que chastes : ce que lui et Scrivérius appelèrent Baudii Amores est un recueil bien gaillard ; et notez que Scrivérius était un homme de mérite, et fort distingué parmi les savans de Hollande. L’exhortation de Théodore de Béze n’empêcha point Théodore de Juges [2] ne donnât une édition de Pétrone avec des prolégomènes, où il tâche de justifier ceux qui expliquent les impuretés de ce Romain. Nous ne trouvons pas que ce Théodore de Juges ait souffert à cause de cela quelque dommage ni en sa réputation ni en sa fortune. Il était de la religion, et d’une famille qui a donné des conseillers à la chambre mi-partie de Castres, et il passa à Genève une bonne partie de sa vie. Goldast avait joui de la même impunité après son édition de Pétrone, accompagnée de prolégomènes, où il entreprit hautement de justifier la lecture d’un tel auteur, et répondit nommément aux réflexions de Théodore de Bèze. Alléguerai-je la considération insigne qu’on eut dans Genève pour le fameux d’Aubigné, quoique l’on n’ignorât pas les licences un peu trop cyniques de sa plume ? Dirai-je que le consistoire de Charenton ne songea jamais à se plaindre de M. Menjot, dont les écrits de médecine sont si parsemés de matières grasses ? Dirai-je qu’Isaac Vossius, étant chanoine de Windsor, quand il publia un ouvrage où il y a bien

    nait de France. Je suis persuadé qu’il se trompait, et qu’il n’y a point eu d’autre sentence que celle de M. de la Reinie. J’aurais été plus circonspect si j’avais eu à mette cela dans ce Dictionnaire ; mais l’écrit que je faisais alors n’étant qu’en feuilles volantes, je n’eus pas tout le soin que je devais.

  1. Celle de ses Sermons sur la Résurrection de Jésus-Christ.
  2. M. Mentel, sous le nom de Joannes Caius Tilebomenus le nomme Thomas de Judicibus dans la préface du Judicium de Fragmento Traguriensi Petronii. Cette méprise sur le prénom est plus excusable que l’erreur de M. de Clavigny de Sainte-Honorine, qui a prétendu, pag. 25 du Traité des Livres suspects, que Théodore de Juges était dit Goldstaius. Il voulut signifier que Goldast et Théodore de Juges étaient le même auteur.