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ÉCLAIRCISSEMENT

teurs de ces deux derniers ouvrages méritent d’être envoyés avec Ovide dans la première classe des auteurs obscènes.

Je remarque, en second lieu. que de tout temps une infinités de personnes se sont accordées à condamner les obscénités, et que cependant cela n’a jamais paru une décision qui eût l’autorité des choses jugées, et à quoi les poëtes, les commentateurs, etc., fussent obligés de se conformer à peine de perdre la qualité d’honnête homme. Les censeurs des obscénités semblent être d’autant plus capables de terminer la question par un arrêt définitif et exécutoire dans toute la république des lettres, qu’ils pourraient former un sénat composé de toutes sortes de conditions. On y verrait non-seulement des personnes vénérables par l’austérité de leur vie, et par leur caractère sacré, mais aussi des gens d’épée, et des galans de profession, et en un mot beaucoup de sujets dont la vie voluptueuse cause du scandale. Voilà un préjugé de grand poids ; car il faut bien que la liberté des vers lascifs soit une mauvaise chose, puisqu’elle est désapprouvée par ceux mêmes qui vivent impudiquement. Mais on a eu beau déclamer contre les écrits obscènes, on n’a jamais obtenu que désormais ils serviraient à discerner les honnêtes gens d’avec les malhonnêtes gens. Il s’est toujours conservé dans la république des lettres un droit ou une liberté de publier des écrits de cette nature. On n’a jamais laissé prescrire ce droit : plusieurs personnes de mérite en ont empêché la prescription par la liberté dont elles se sont servies pour cette sorte d’ouvrages, sans que cela leur ait attiré aucune note, ou les ait rendues moins dignes de jouir de tous les honneurs et de tous les priviléges de leur état, et de parvenir aux avancemens que leur fortune leur pouvait promettre [1].

On se ferait siffler si l’on prétendait convaincre Boccace de n’avoir pas été honnête homme, puisqu’il a fait le Décaméron ; ou si, sous prétexte que la reine de Navarre, sœur de François Ier., écrivit quelques Nouvelles galantes, on voulait conclure qu’elle n’a pas été une princesse d’une vertu admirable, et dont les éloges retentissaient de toutes parts. Antoine Panormita ne perdit rien, ni de sa fortune, ni de sa bonne réputation, pour avoir écrit fort salement le poëme de l’Hermaphrodite [2]. Disons-en autant de Benoît le Court et du célèbre André Tiraqueau. Celui-là, composant un commentaire sur les Arrêts d’Amour de Martial d’Auvergne, se donna beaucoup de licence : Nonnunquàm etiam, dit-il dans son Épître dédicatoire à un conseiller au parlement de Paris, quòd in amore jocatus sim lasciviente calamo : et personne n’ignore combien de sales recueils André Tiraqueau a fait entrer dans son commentaire sur les Lois Matrimoniales [3]. Sci-

  1. On ne prétend point étendre cela sur des cas particuliers, excédant certaines bornes, ni sur des personnes qui d’ailleurs ont pu mériter l’infamie par leurs actions.
  2. Voyez ci-dessus la remarque (I) de l’article Panormita, tom. XI, pag. 351.
  3. Voyez ci-dessus, citation (14) de l’article Sanchez (Thomas), t. XIII, p. 81.