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ÉCLAIRCISSEMENT

notre amour. Il y a je ne sais quoi au fond de notre âme qui se meut secrètement par un Dieu que nous ne pouvons connaître ..... À bien considérer la religion chrétienne, on dirait que Dieu a voulu la dérober aux lumières de notre esprit, pour la tourner sur les mouvemens de notre cœur [1] ..... Pourvu qu’on ait réduit sa raison à ne raisonner plus sur les choses que Dieu n’a pas voulu soumettre au raisonnement, c’est tout ce qu’on peut souhaiter. Non-seulement je crois avec Salomon que le silence du sage vaut mieux en ce cas que le discours du philosophe, mais je fais plus d’état de la foi du plus stupide paysan que de toutes les leçons de Socrate [2]. »

En voilà, ce me semble, plus qu’il n’en faut pour dissiper les scrupules que les prétendus triomphes des pyrrhoniens avaient fait naître dans l’esprit de quelques-uns de mes lecteurs.

  1. Saint-Évremond, Œuvres mêlées, tom. III, pag. m. 51.
  2. Idem, ibid., tom. II, pag. 24.

IVe. ÉCLAIRCISSEMENT.

Que s’il y a des obscénités dans ce livre, elles sont de celles qu’on ne peut censurer avec raison [* 1].


I. Quand-on dit qu’il y a des obscénités dans quelque livre, on peut entendre :

1°. Ou que l’auteur donne en vilains termes la description de ses débauches, qu’il s’en applaudit, qu’il s’en félicite, qu’il exhorte ses lecteurs à se plonger dans l’impureté, qu’il leur recommande cela comme le plus sûr moyen de bien jouir de la vie, et qu’il prétend qu’il faut se moquer du qu’en dira-t-on, et traiter de contes de vieilles les maximes des gens vertueux ;

2°. Ou que l’auteur raconte d’un style libre et enjoué quelques aventures amoureuses inventées à plaisir quant au fond même, ou pour le moins quant aux circonstances, et quant à la broderie ; et qu’il fait entrer dans ce récit plusieurs incidens impurs, sur quoi il verse tous les agrémens qu’il lui est possible, afin que ce soient des narrations divertissantes, et plus propres à faire naître l’envie d’une intrigue d’amour qu’à toute autre chose ;

3°. Ou que l’auteur, voulant se venger d’une maîtresse infidèle, ou excuser les transports de sa passion, ou faire des invectives contre une vieille courtisane, ou célébrer les noces de son ami, ou se divertir à débiter des pensées, donne l’essor à ses muses, et les fait servir à des épigrammes ou à des épithalames, etc., dont les expressions contiennent une infinité de saletés ;

4°. Ou que l’auteur fait des invectives contre l’impudicité, qui la décrivent trop nuement, trop vivement, trop grossièrement ;

5°. Ou que l’auteur, dans un Traité de physique, ou de médecine, ou de jurisprudence, s’est exprimé salement, ou sur la gé-

  1. * Joly, tom. II, pag. 714, trouve que Bayle a franchi les dernières bornes de la pudeur par une infâme apologie de toutes licences qu’il a prises.