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ÉCLAIRCISSEMENT

si, dis-je, l’on me peut montrer un tel acte, portant que jamais un orthodoxe ne doit convenir, non pas même lorsque cela est très-vrai, que certaines objections des hétérodoxes ne peuvent être réfutées autrement que par l’Écriture, je m’engagerai à tout ce que l’on voudra ; car je suis sûr qu’on ne me montrera jamais une telle signature.

Mais, pour une plus ample satisfaction des lecteurs les plus scrupuleux, je veux bien déclarer ici que partout où l’on verra dans mon Dictionnaire que tels et tels argumens sont insolubles, je ne souhaite pas qu’on se persuade qu’ils le sont effectivement. Je ne veux dire autre chose, sinon qu’ils me paraissent insolubles. Cela ne tire point à conséquence, chacun se pourra imaginer, s’il lui plaît, que j’en juge ainsi à cause de mon peu de pénétration. Je voudrais que l’on ajoutât qu’en me conformant aux règles de la bonne foi, plutôt qu’aux maximes politiques de l’esprit de parti, je ne laisse pas de considérer que l’hérésie ni le paganisme ne peuvent tirer aucun avantage de l’insolubilité de leurs objections contre les mystères [1].

La difficulté qui me reste à examiner nous retiendra un peu plus long-temps. Elle est fondée sur ce que j’ai rapporté fort au long ce que les manichéens peuvent objecter, et que je ne me suis pas mis en peine de produire les raisons qui les réfutent. Voici de quoi contenter sur ce sujet de murmure tous les lecteurs raisonnables. Quatre raisons m’empêchèrent de m’arrêter à la réfutation du manichéisme.

La première est, que dans la disposition où se trouvent aujourd’hui les gens il n’y a point d’hérésie moins à craindre que celle-là. Les peuples ne sauraient concevoir que de l’horreur pour une hypothèse qui admet une nature éternelle et incréée, distincte de Dieu, et ennemie de Dieu, et méchante essentiellement. Et pour ce qui est des esprits forts, ou en général de ceux qui ont cultivé l’étude de la métaphysique, et qui ont quelque penchant à en abuser, il n’y a rien qui leur déplaise davantage que la multiplicité de principes. La dépravation de leur goût les porte plutôt à être parfaitement unitaires [2], qu’à se déclarer pour les dualistes [3].

En second lieu, tous les chrétiens quelque ignorans qu’ils puissent être enferment si clairement la toute-puissance et l’infinité dans l’idée de la nature divine, qu’ils n’ont pas besoin d’armes d’emprunt pour combattre les manichéens. Cette idée seule les rend assez forts dans une guerre offensive : ils y trouvent de quoi réfuter solidement l’hypothèse de ces gens-là. Je crus donc qu’il n’était pas nécessaire de montrer

  1. Voyez ce que je réponds à la première objection.
  2. C’est ainsi que pour abréger on pourrait nommer ceux qui avec les spinosistes ne reconnaissent qu’une substance l’univers ; mais notez que ci-dessous je donne ce nom à ceux qui ne reconnaissent qu’une première cause de toutes choses.
  3. C’est ainsi que les Perses nomment les sectateurs des deux principes. Voyez ci-dessus, cit. (77) de l’article Zoroastre, p. 97. Pour éviter l’équivoque, je ne me sers point du mot duéliste, comme l’analogie le voudrait, mais de celui de dualiste.