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SUR LES MANICHÉENS.

et celles de la Transsubstantiation. Vous ne voulez pas qu’on écoute là-dessus les raisonnemens des philosophes, vous ne parlez que de la toute-puissance de Dieu, vous vous plaignez qu’on la nie quand on ne veut pas admettre la conservation des accidens sans sujet, et la présence d’un corps en plusieurs lieux. Pourquoi donc attaquez-vous le mystère de la prédestination par des argumens humains ? Pourquoi ne croyez-vous pas que la puissance de Dieu s’étend jusqu’à concilier la liberté des créatures avec la nécessité de ses décrets, et sa justice avec la punition d’un péché commis nécessairement ?

Quoi qu’il en soit, on ne peut nier que l’introduction du mal moral et ses annexes ne soit l’un des plus impénétrables mystères que Dieu nous ait révélés. Citons là-dessus quelques auteurs.

Je ne répète point ce qu’on a pu lire dans un autre endroit de cet ouvrage [1], qu’un théologien réformé avoue publiquement que l’hypothèse de saint Augustin et de Calvin est pour lui d’une pesanteur insupportable, et qu’il ne s’y tient que parce qu’aucune de toutes les autres hypothèses ne saurait le soulager. Les paroles latines de Calvin que j’ai rapportées [2] méritent bien de paraître ici selon le français de l’auteur : « Par tous ses escrits il ne cesse de crier, toutesfois et quantes qu’il est question du peché, que le nom de Dieu n’y doit point estre meslé, d’autant que rien n’apartient à la nature de Dieu, sinon une parfaite droiture et équité. C’est doncques une calomnie par trop vilaine et puante, d’enveloper un tel homme qui a si bien servi à l’eglise de Dieu, en ce crime, comme s’il faisoit Dieu autheur de peché. Il enseigne bien par tout que rien ne se fait que par le vouloir de Dieu : cependant il maintient que cela, que les hommes font meschamment, est tellement conduit et gouverné par le jugement secret de Dieu, qu’il n’a rien de commun avec le vice des hommes. La somme de sa doctrine est, que Dieu adresse toutes choses par moyens admirables et qui nous sont incognus à telle fin qu’il lui plaist, de sorte que sa volonté éternelle est la premiere cause de toutes choses. Et confesse que c’est un secret incompréhensible, que Dieu veuille ce qui ne nous semble nullement raisonnable : et pourtant il afferme qu’il ne s’en faut point enquerir par trop curieusement ni audacieusement, pource que les jugemens de Dieu sont un abyme profond, et qu’il vaut beaucoup mieux adorer en toute reverence les mysteres et secrets qui surmontent nostre capacité, que de les esplucher ou s’y fourrer trop avant [3]. » Vous voyez combien il recommande de ne s’approcher de cet

  1. Ci-dessus, article Pauliciens, t. XI, pag. 488, cit. (44) et (45).
  2. Ci-dessus, cit. (16) de l’article Synergistes, tom. XIII, pag. 314.
  3. Calvin, Briefve Response aux calomnies d’un certain brouillon par lesquelles il s’est efforcé de diffamer la doctrine de la Prédestination éternelle de Dieu, p. 2037, de ses Opuscules, édition de Genève, 1611.