Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T15.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
292
ÉCLAIRCISSEMENT

que negotio credebat [1]. Il répondit [2] qu’il ne fallait pas s’étonner de ce que l’essence de Dieu nous est incompréhensible, puisqu’il y a dans chaque être quelque chose dont on ne peut rendre raison [3], et que la possibilité de plusieurs faits reconnus pour véritables de tout le monde peut être attaquée par des argumeus spécieux [4] ; et qu’ainsi la révélation du mystère de la Trinité, et de celui de l’Incarnation, et de quelques autres étant certaine, nous devions y soumettre notre raison : car le seul argument qu’on puisse leur opposer est qu’ils surpassent la portée de notre esprit ; mais ne trouve-t-on pas la même difficulté dans plusieurs choses que l’on admet comme véritables [5] ? Il fut si éloigné de compter pour quelque chose les réponses des scolastiques, qu’au contraire il avoua qu’elles ne servaient qu’à obscurcir les difficultés. Curiositatis reverà nimium introductum, eaque magis conducit difficilioribus obscurandis quàm explanandis. Sunt autem defensa vacillantibus argumentis, illustrataque similitudinibus non adeò idoneis ac congrutis, additæque novæ subtilitates, magis intricantes, quàm extricantes, quæ omnia haud queunt negari. Oppositio Hæreticorum priscis temporibus nimium curiositatis inter Patres excitavit, quam Scolastici sequiorum seculorum mirè adauxerunt ; verùm si mysteria potiùs eâ simplicitate ; quâ in sacris tradita sunt litteris quàm secundùm absurdissima in ea fanaticorum hominum commentaria accepta fuissent, non minùs incredibilia [6] viderentur, quàm aliqua eorum objectorum, quæ quotidie in sensus incurrunt [7].

N’oublions pas cette observation. Luther et plusieurs autres théologiens protestans n’eussent jamais soutenu qu’il y a des choses fausses en philosophie, qui sont vraies en théologie [8], s’ils eussent cru que les réponses que l’on fait aux objections des philosophes contre nos mystères peuvent contenter la raison ; car ils ne soutenaient cela qu’à cause de ces mystères [9].

Je ne vois donc point que jusqu’ici les objections que j’ai à résoudre dans cet éclaircissement aient pu m’embarrasser. Examinons-en quelques autres.

Si l’on m’objecte que mon aveu n’est scandaleux qu’à cause qu’il se rapporte non pas aux raisons philosophiques qui peuvent combattre la Trinité, l’Incarnation, et quelques autres

  1. Roftæ Comitis in extremis Μετάνοια seu Pœnitentia salutaris, pag. 51.
  2. Ibid., pag. 53.
  3. Certum in unâquâque re quid esse cujus ratio reddi nequit. Ibid., p. 52.
  4. Roftæ Comitis in extremis Μετάνοια seu Pœnitentia salutaris, p. 53.
  5. Notez que l’auteur qui publia un Traité de Religion contre les athées, les déistes et les nouveaux pyrrhoniens, à Paris l’an 1677, pressa fortement l’argument, que les impies ne peuvent éviter dans leurs principes de croire des choses incompréhensibles. Voyez les chap. III, IV et V de la IIe. partie.
  6. Je n’entends pas cela, et il me semble que l’auteur a plutôt dit credibilia qu’incredibilia, ou qu’au lieu de minùs il eût fallu mettre magis.
  7. Comitis Roftæ in extremis Μετάνοια, pag. 54, 55.
  8. Voyez ci-dessus, rem. (C) de l’article Hoffman (Daniel), tom. VIII, pag. 183, et remarque (KK) de l’article Luther, tom. IX, pag. 581.
  9. Voyez ci-dessus, rem. (KK) de l’article Luther, tom. IX, pag. 581.