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SUR LES MANICHÉENS.

phe des incrédules ; car nos théologiens ne se vantent pas de prouver la Trinité et l’Incarnation par des argumens philosophiques : ils n’admettent que la parole de Dieu pour le fondement et pour la source des preuves et des solutions. C’est leur forteresse, c’est leur place d’armes ; il leur doit suffire de la défendre et de parer tous les coups qui leur sont portés par un hérétique qui se fonde sur le même principe qu’eux de l’autorité de l’Écriture. Que l’ennemi s’empare du reste, peu leur importe ; c’est un pays qu’ils ont abandonné volontairement. Ce n’est point vaincre, que d’occuper une place personne n’avait intention de garder. Facile erat vincere non repugnantes [1].

Afin que ceux mêmes qui se trouveraient sans autre livre en lisant ceci puissent être très-assurés que ce n’est pas une chose avancée en l’air, je m’en vais les mettre dans une pleine confiance. Je m’en vais leur citer le témoignage de deux fameux écrivains [2], l’un prêtre, l’autre ministre, et tous deux très-orthodoxes sur la Trinité, sur l’Incarnation, sur la Satisfaction de Jésus-Christ, et sur quelques autres mystères. « Ce procédé [3] n’est pas raisonnable ; parce qu’il est contraire aux premières lumières et aux fondemens mêmes de la religion chrétienne. Si cette religion disait aux hommes qu’elle leur propose une foi exempte de toutes sortes de difficultés ; que l’on ne peut rien alléguer contre ses mystères qui ait quelque sorte d’apparence, et que les preuves sur lesquelles elle établit les vérités qu’elle enseigne, sont si claires qu’elles forcent l’incrédulité et la résistance de toutes sortes d’esprits, quelque préoccupés qu’ils soient ; ou aurait raison de prétendre détruire ses dogmes, en ramassant ainsi des difficultés vraisemblables contre ce qu’elle nous voudrait faire croire. Mais elle est bien éloignée de leur tenir ce langage. Non-seulement elle ne leur dit pas que les vérités qu’elle enseigne ne peuvent être combattues par aucunes raisons apparentes ; mais elle leur dit qu’il est nécessaire qu’elles le soient, et que c’est une suite infaillible du dessein que Dieu a eu en se découvrant aux hommes par la véritable religion [4]. » M. Claude, n’ayant rien dit contre ce passage de M. Nicolle, en doit passer pour l’approbateur ; car, s’il y eût trouvé quelque matière de critique, toutes sortes de raisons demandaient qu’il le censurât en réfutant, comme il a fait, le livre de la Perpétuité de la Foi.

Voyons si l’on a pu prendre quelque sujet de scandale sous prétexte que les objections philosophiques contre le dogme de la Trinité, etc., ne réduisent point au silence les professeurs en théologie, et que dans les thèses qu’ils exposent fréquemment à la dis-

  1. Cicero, Tuscul. Quæst., lib. I, folio m. 245, C.
  2. M. Nicolle et M. Claude.
  3. C’est-à-dire, faire des amas de raisons qui ont quelque chose de surprenant contre la Trinité, etc.
  4. Nicolle, Perpétuité de la Foi, pag. m. 92, 93.