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ÉCLAIRCISSEMENT

protestans se font la guerre sur une infinité d’articles de religion, mais ils sont d’accord sur ce point-ci, que les mystères de l’Évangile sont au-dessus de la raison. Il y a eu même des théologiens qui ont avoué que les mystères que les sociniens nient sont contre la raison. Je ne veux pas me prévaloir de cette avance, il me suffit que l’on reconnaisse unanimement qu’ils sont au-dessus de la raison ; car il résulte de là nécessairement qu’il est impossible de résoudre les difficultés des philosophes ; et par conséquent qu’une dispute, où l’on ne se servira que des lumières naturelles, se terminera toujours au désavantage des théologiens, et qu’ils se verront forcés de lâcher le pied, et de se réfugier sous le canon de la lumière surnaturelle.

Il est évident que la raison ne saurait jamais atteindre à ce qui est au-dessus d’elle : or si elle pouvait fournir des réponses aux objections qui combattent le dogme de la Trinité, et celui de l’union hypostatique, elle atteindrait à ces deux mystères, elle se les assujettirait, elle les manierait, et les plierait jusques aux dernières confrontations avec ses premiers principes, ou avec les aphorismes qui naissent des notions communes, et jusques à ce qu’enfin elle eût conclu qu’ils s’accordent avec la lumière naturelle. Elle ferait donc ce qui surpasse ses forces, elle monterait au-dessus de ses limites, ce qui est formellement contradictoire. Il faut donc dire qu’elle ne peut point fournir de réponses à ses propres objections, et qu’ainsi elles demeurent victorieuses pendant qu’on ne recourt pas à l’autorité de Dieu, et à la nécessité de captiver son entendement à l’obéissance de la foi.

Tâchons de rendre cela plus clair. Si quelques doctrines sont au-dessus de la raison, elles sont au delà de sa portée. Si elles sont au delà de sa portée, elle n’y saurait atteindre. Si elle n’y peut atteindre, elle ne peut pas les comprendre. Si elle ne peut pas les comprendre, elle n’y saurait trouver aucune idée, aucun principe, qui soit une source de solution, et par conséquent les objections qu’elle aura faites demeureront sans réponse, ou, ce qui est la même chose, on n’y répondra que par quelque distinction aussi obscure que la thèse même qui aura été attaquée. Or il est bien certain qu’une objection que l’on fonde sur des notions bien distinctes demeure également victorieuse, soit que vous n’y répondiez rien, soit que vous y fassiez une réponse où personne ne peut rien comprendre. La partie peut-elle être égale entre un homme qui vous objecte ce que vous et lui concevez très-nettement, et vous qui ne pouvez vous défendre que par les réponses où ni vous ni lui ne comprenez rien ?

Toute dispute philosophique suppose que les parties contestantes conviennent de certaines définitions, et qu’elles admettent les règles du syllogisme, et les marques à quoi l’on connaît les mauvais raisonnemens. Après cela, tout consiste à examiner si une thèse est conforme médiatement ou immédiatement aux