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RÉFLEXIONS

mensonge. Je veux le représenter par son beau côté. M. l’abbé Renaudot passe pour très-docte, et pour être d’un goût si délicat qu’il ne trouve rien qui lui plaise. Il ne faut donc rien conclure de son mépris : c’est une preuve équivoque. On m’a dit de plus qu’il est fort dévot. Il ne faut donc pas s’étonner qu’il trouve trop libre ce qui, dans le fond, n’excède point les libertés qu’un honnête homme se peut donner, à l’exemple d’une infinité de grands auteurs. Un moraliste sévère, Tertullien par exemple, trouve-t-il rien d’assez éloigné du luxe dans la maison d’un homme du monde ? Le public a beau être édifié du bon ordre qui y règne : la maîtresse du logis ne va à la comédie et au bal que de temps en temps ; elle ne joue qu’en certaines occasions ; on loue la modestie de ses habits et de ses paroles. Mais Tertullien ne laisse pas de crier qu’elle est immodeste : elle ne cache pas assez son cou ni son bras ; elle porte des rubans, elle danse, elle plaisante quelquefois : la voilà damnée. Ce n’est point selon le goût d’un tel censeur qu’il faut juger si le commentaire d’un laïque sur l’histoire des particuliers est quelquefois habillé un peu trop à la mondaine ; car en suivant un tel goût, conforme d’ailleurs aux lois rigoureuses de l’Évangile, il faudrait bannir du monde tous les romans et une infinité d’autres écrits autorisés par les lois civiles : il ne faudrait composer que des ouvrages de piété. On me dira que des gens, même qui ne sont pas rigoristes, trouvent dans mon Dictionnaire quelques gaietés un peu trop fortes. On sera satisfait, je m’assure, quand on aura vu l’apologie que je prépare sur ce point-là. J’en préparerais une autre sur ce que M. l’abbé Renaudot appelle impiétés ; mais comme je ne sais point sur quoi l’on fonde cette accusation, j’attendrai que l’on me le marque. J’ai déclaré en toute occasion, et je le déclare ici publiquement, que s’il y a des dogmes hétérodoxes dans mon ouvrage, je les déteste tout le premier, et que je les chasserai de la seconde édition. On n’a qu’à me les faire connaître. Quant à l’article David, M. l’abbé a grand tort de dire que je n’y ai eu aucun respect pour l’Écriture ; car l’éclaircissement que j’y ai mis est plein d’une soumission très-respectueuse pour ce divin livre. J’en prends à témoin tous les lecteurs. J’ajoute que de la manière dont je prétends retoucher tout cet article, il ne pourra plus fournir de prétexte aux déclamations de mes censeurs. Après tout, oserait-on dire que mon Dictionnaire approche de la licence des Essais de Montaigne, soit à l’égard du pyrrhonisme, soit à l’égard des saletés ? Or Montaigne n’a-t-il point donné tranquillement plusieurs éditions de son livre ? ne l’a-t-on pas réimprimé cent et cent fois ? ne l’a-t-on pas dédié au grand cardinal de Richelieu ? n’est-il pas dans toutes les bibliothéques ? Quel désordre ne serait-ce pas, que je n’eusse point en Hollande la liberté que Montaigne a eue en France ?

IV. Si je réfute jamais le jugement de M. l’abbé Renaudot, ce ne sera qu’après avoir su