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ZABARELLA.

n’y a que Dieu qui ait toujours existé, mais plusieurs soutiennent qu’il a pu créer actuellement le monde aussitôt qu’il a formé le décret de le produire, d’où ils concluent que le monde a pu exister éternellement, puisqu’il est indubitable que le décret de le produire est éternel. Plusieurs soutiennent aussi qu’il est impossible qu’une créature soit éternelle. Chacun de ces deux partis est plus fort en objections qu’en solutions. Cette dispute, que l’on rend si longue et si difficile, se terminerait bientôt, pourvu que de part et d’autre l’on s’expliquât nettement, et qu’on écartât les équivoques d’éternité. Il faudrait poser ainsi la question : Est-il possible que Dieu et ses créatures aient toujours existé ensemble ? On ne prendrait pas si hardiment la négative ; car le terme d’éternité du monde ; ce terme, dis-je, qui effarouche tant de gens, ne frapperait pas l’esprit. Pour écarter encore mieux la pierre d’achoppement, il faudrait dire qu’une créature qui aurait toujours coexisté avec Dieu ne serait pas éternelle, et il faudrait aussitôt en donner cette raison, c’est que la durée des créatures est successive, et que l’éternité est une durée simple, qui exclut essentiellement le passé et l’avenir. Par cette différence essentielle entre la durée de Dieu et celle des créatures, on ferait tomber presque toute la contestation, chaque parti trouverait son compte. On accorderait à ceux qui nient que la créature puisse être éternelle, qu’ils ont raison ; et l’on ne nierait pas qu’il ne soit possible que Dieu et la créature aient toujours existé ensemble, puisqu’il est certain que la cause n’enferme point dans son idée une priorité de temps par rapport à son effet, et que cela est surtout vrai quant à une cause toute-puissante, qui n’a qu’à vouloir pour produire actuellement tout ce qu’elle veut. M. Poiret a fort bien compris les équivoques qui embrouillent cette dispute, et qui la rendent en quelque façon une dispute de mot. Il remarque judicieusement qu’il n’est pas vrai que les créatures seraient éternelles si leur existence n’avait point de commencement. Il dit que ceux qui l’affirment ignorent l’essence de l’éternité. Asserentibus (Platoni ut aiunt et Aristoteli) mundum existentiæ initio carere, fuit objectum, si id ita se haberet, mundum igitur æternum fore. Ecce, homines isti sibi imaginantur æternitatem, quasi esset infinitorum momentorum ordo principio atque fine carens, quæ vera æternitatis ignorantia est. Falsum est, mundum statui æternum si dicatur vel semper exstitisse, vel non posse affirmari in eo esse aliquod momentum quod ab alio non fuerit præcessum : quamvis enim hoc esset, nihilominùs mundus temporarius esset et dependens ; neque hoc quicquam Dei æternitati aut potentiæ detraheret [1]. Notez en passant que cet auteur fait trois choses. Nous venons de voir la première : c’est la fausse conséquence que le monde serait éternel s’il n’avait jamais commencé. En second lieu, il avoue que les raisons qu’on allègue ordinairement contre ceux qui disent que le monde n’a point commencé sont faibles. Il excuse ceux qui, n’ayant pas les lumières de la révélation, n’ont point donné de commencement à l’univers. Il dit que même, composant ce chapitre, il était persuadé qu’on ne pouvait trouver de bonnes raisons contre ces gens-là, quoiqu’il eût long-temps cherché de meilleures preuves que toutes celles qu’il avait lues, et qui lui avaient paru infirmes. Postquàm aliorum quæ occurrerunt rationes infirmas deprehenderem, alias diù in mente meâ quæsieram, putavi sepositâ revelatione non posse ex lumine naturæ demonstrari mundum sic esse, ut priùs non fuerit [2]. Troisièmement enfin, il apporte une preuve qui s’était offerte à son esprit en écrivant, il l’apporte, dis je, contre ces gens-là. Mais prenez garde qu’on lui fit une objection [3] à quoi il donna une réponse [4] qui n’ôte rien à la force de ce qu’on lui objectait.

  1. Petrus Poiret, Cogitat. rationales de Deo, Animâ, et Malo, lib. III, cap. XVI, num. 9, pag. 438, édit. de 1685.
  2. Idem, ibidem, pag. 439.
  3. Vous la trouverez à la pag. 674, 675, de cet ouvrage de M. Poiret.
  4. Vous la trouverez à la pag. 678 du même livre.