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SUR L’HIPPOMANES.

ber aussitôt d’elles-mêmes, pour rendre la liberté à qui les dames eussent voulu. Si l’on consulte le Journal des physiciens d’Allemagne[a], on se convaincra pleinement que les poulains naissent avec l’hippomanes sur le front ; car on y verra la figure et la description anatomique d’un de ces hippomanes, qui avait été apporté tout chaud à un médecin nommé Raygérus. Il avait souhaité souvent d’en voir qui fussent en cet état, en ayant déjà vu quelques-uns de secs ; et il éprouva que la mère nourrit à l’accoutumé le poulain, à qui l’on avait ôté cette partie ; de sorte que si d’un côté il vient au secours des anciens, il les décrédite beaucoup de l’autre. Son hippomanes est plus grand qu’Aristote et Pline ne le représentent.

  1. Annus octavus, impressus 1678, pag. 94 et seq.

(A) On ne trouve la troisième espèce d’hippomanes que dans Théocrite ; encore faut-il livrer combat… à l’un des plus savans hommes du XVIe. siècle. ] Je n’ignore pas qu’on trouve dans Dioscoride une herbe nommée ἀπόκυνος, et κυνοκάμϐη, et ἰππομανές ; et dans Théophraste un hippomanes fait de l’herbe tithymale, excellente et fort cultivée à Tégée, ville d’Arcadie[1]. Mais comme M. de Saumaise[2] prétend qu’il n’y a que des chicaneurs, semblables à celui qui s’était caché sous le masque de Cercoétius (c’était le père Pétau), qui puissent se prévaloir de l’autorité de Dioscoride, puisque ce serait nous donner pour de véritables écrits de Dioscoride les additions bâtardes qu’on y a fourrées, je crois qu’on doit laisser à part la déposition de ce témoin. Pour Théophraste il n’est pe sûr qu’il faille lire ἱππομανὲς dans l’endroit que j’ai cité ; M. de Saumaise[3] en corrige la leçon, et y substitue ὁ ὀπὸς μόνος, prétendant que l’auteur a voulu dire qu’on ne tire du tithymale que le suc. Ainsi ces témoignages ne sont que matière de procès. Il n’en faut pas dire autant de celui de Théocrite ; puisque outre les raisons par lesquelles j’ai détruit le χυτὸς de M. de Saumaise, on ne peut nier que dès le temps du grammairien Servius il n’y eût ϕυτὸν dans le texte de ce poëte. On ne peut rien dire de positif sur l’herbe dont il a parlé : ainsi Aloïsius Anguillara, Cratévas, Dodonéus, et Wecker, qui la prennent pour la stramonia[4] dite des Arabes, nux methel, et des Français pomme du Pérou, ne nous donnent pas de conjectures plus certaines que Roderic à Castro[5], qui l’a prise pour la fougère, ou que Gaspar à Reies, qui l’a prise pour l’herbe flavia[6].

(B) Touchant la vache d’airain de Myron. ] Myron, natif d’Éleuthère dans la Béotie, fit une vache d’airain qui fournit un beau champ aux poëtes. Il y a dans l’Anthologie[7] près de XL épigrammes sur ce sujet. Ausone en a fait onze sur la même matière, qui sont assez bien tournées. En voici une :

Bucula sum cælo genitoris facta Myronis
Ærea : nec factam me puto, sed genitam.
Sic me taurus init : sic proxima bucula mugit,
Sic vitulus sitiens ubera nostra petit.
Miraris, quòd fallo gregem ? gregis ipse magister
Inter pascentes me numerare solet[8].


M. Ménage a exercé sa muse grecque sur cette vache, avec un succès que le père Hardouin a jugé supérieur à celui de tous les autres. Voyez son commentaire sur le XXXVIe. livre de

  1. C’est ainsi peut-être qu’il faut traduire le grec de Théophraste, liv. IX, Hist. Plant., cap. XV. Καὶ τὸ τνθύμαλλον ἐξ τοῦ τὸ ἱππομανὲς, ἄριςον δὲ τὸ περὶ Τεγέαν, καὶ έκεῖ μάλιςα σπουδάζεται. M. de Saumaise, Exercit. Plinian., pag. 941, rapporte ἄριςον, etc. à ἱππομανὲς.
  2. Idem, pag. 94.
  3. Exercit. Plinian. in Solinum, pag. 941.
  4. Au rapport du médecin Jacques Ferrand, pag. 226 du Traité de la Maladie d’Amour. Je range ces quatre médecins comme lui, bien que je sache que Cratevas est plus ancien de plusieurs siècles que les autres.
  5. Medic. Polit., lib. IV, cap. II.
  6. In Carapo Elysio jucundar. Quæst. XXIX.
  7. Lib. IV, cap. VII.
  8. Auson., Epigram. LVIII.