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DISSERTATION

Quæ solet matres furiare equorum,
Sæviet circa jecur ulcerosum[a].


Recueillons de là, en passant, que la poésie galante n’était pas sous Auguste, comme aujourd’hui, ennemie de toutes idées grossières ; mais souvenons-nous principalement de conclure des autorités qu’on vient de voir, que Servius et Philargyrus ont assez bien entendu le passage de Théocrite, pour n’avoir pas mérité que M. de Saumaise les censurât. Il était beaucoup plus naturel de l’entendre de la passion amoureuse excitée par l’herbe hippomanes, que de l’envie de manger de cette herbe. Et n’importe qu’il n’y ait que Théocrite qui ait parlé d’une telle plante[b] ; car il a pu se fonder sur quelque vieille tradition qui a été démentie par les siècles suivans. Au fond, il ne serait pas fort surprenant qu’il y eût une herbe qui produisît cet effet. Celle que les Italiens nomment Sferra-Cavallo, parce qu’on prétend que les chevaux qui mettent le pied dessus se déferrent tout aussitôt[c], me paraîtrait d’une vertu plus miraculeuse. Pline fait mention d’une herbe par le moyen de laquelle le pivert fait sauter un coin fiché dans un arbre[d]. Il en paraît douter dans un autre livre[e].

VI. Réfutation du sentiment de Saumaise.

Examinons de plus près le sentiment de Saumaise, nous verrons mieux que le changement de φντὸν en χυτὸν n’est pas bien imaginé. C’est une métamorphose pour laquelle il faut supposer, 1o. que Théocrite a cru que le temple de Jupiter olympien n’était pas dans l’Élide, mais dans l’Arcadie ; ou qu’ayant su qu’il n’était pas dans l’Arcadie, il l’a dit néanmoins, tant à cause du voisinage de ces deux provinces, qu’à cause que Phormis, qui consacra la jument de bronze, était d’Arcadie. Cette première supposition est toute pleine de duretés ; car à qui persuadera-t-on que la solennité des jeux olympiques ait pu permettre à un bel-esprit d’être en doute si elle se célébrait dans une province de Grèce, ou dans une autre ? Tous les Grecs étaient à cet égard bons géographes jusqu’à la dernière précision ; de sorte qu’il n’entrera jamais dans un esprit attentif, que Théocrite ait pu errer là-dessus, ou oser dérober à ceux d’Élide en faveur de ceux d’Arcadie, et cela sur deux mauvaises raisons, le temple de Jupiter olympien, l’une des sept merveilles du monde. Mais voici d’autres suppositions non moins dures que la première. Il faut supposer, en second lieu, que, ne s’agissant que de l’amour des chevaux, Théocrite ne s’est servi que du genre féminin, πᾶσαι καὶ πώλοι, et toutes les poulines, καὶ θοαὶ ἳπποι, et toutes les cavales[f]. Quel remède à cela ? Une jument de bronze est l’objet aimé : son hippomanes n’anime

  1. Horat., Od. XXV, lib. I.
  2. Voyez la rem. [[Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Dissertation sur l’Hippomanes#ancrage_Dissertation3-(A)|(A)]].
  3. Voyez Matthiole, sur Dioscoride, liv. III, chap. CXXXV.
  4. Plin., lib. X, cap. XVIII.
  5. Idem, lib. XXV, cap. II.
  6. Je ne traduis point θοαὶ, qui veut dire légères à la course ; cette épithète n’est point là une de celles que la langue française doit retenir dans une version.