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SUR L’HIPPOMANES.

bri, citent Hésiode et Théocrite pour l’herbe hippomanes.

V. Servius et Philargyrus mal censurés par Saumaise.

Servius et Philargyrus paraissent avoir plus de raison lorsqu’ils disent : celui-là, que cette herbe rendait furieux les chevaux qui en mangeaient ; celui-ci, qu’elle donnait aux cavales une chaleur d’amour excessive. M. de Saumaise prétend qu’ils n’y entendent rien, et que Théocrite n’a voulu dire sinon que les chevaux étaient épris d’une passion violente de jouir de l’hippomanes : de sorte que si ce poëte eût parlé d’une herbe, il faudrait entendre que les chevaux auraient été transportés d’un désir furieux d’en manger. C’est ainsi qu’il explique la phrase grecque μαίνεσθαι ἐπὶ τινί [a]. Tout ce qu’il lui plaira ; mais il me semble que l’explication de ces deux anciens grammairiens n’est pas mauvaise. La préposition ἐπὶ a tant de significations, qu’il serait bien étrange qu’elle n’eût pas quelquefois celle que nous donnons à la préposition sur dans ces phrases ; il enragea, il s’emporta, il devint furieux sur cela. Ce sont toutes phrases où sur ne désigne point l’objet de la passion, mais ce qui la cause.

Je ne nie point que Philargyrus ne fasse dire à Théocrite ce qu’il n’a pas dit précisément, savoir que l’herbe hippomanes excite dans les cavales qui en mangent une ardente lubricité ; mais il est fort vraisemblable que c’est ce que Théocrite a entendu. Il ne faut pour s’en convaincre que considérer le vœu qu’il fait, que l’objet de son amour, saisi d’une manière semblable à celle de ces cavales, vienne chez lui ; et ce que les naturalistes observent de la chaleur excessive de ces animaux. Aristote dit [b] qu’il n’y a point de femelles qui égalent celles-là en lubricité ; et que pour exprimer la lubricité des autres femelles excessivement amoureuses, on lui donnait le nom qui marquait celle des cavales. Élien observe la même chose au chapitre XI du IVe. livre de l’Histoire des Animaux. D’autres remarquent qu’elles vont chercher le mâle au travers des montagnes et des rivières [c] :

Scilicet ante omnes furor est insignis squarum
..............................
Illas ducit amor trans Gargara transque sonantem
Ascanium : superant monies et flumina tranant [d].

Enfin Horace, prédisant à une maîtresse qui avait fait la renchérie durant ses beaux jours, qu’on lui rendrait la pareille avec le temps, lui marque qu’elle sentirait alors la même rage qui transporte les cavales.

Cùm tibi flagrans amor, et libido

  1. Μαίνεσθαι ἐπὶ τινί non dicitur qui alicujus rei gustu vel haustu ad insaniam adigitur, sed qui rei ejus cujus cupiens est quocunque modo potiundæ ardore insanit. Salmas., Exercitat. Plinian., pag. 939.
  2. Τῶν δὲ θηλειῶν ὁρμητικῶς ἔχουσι πρὸς τὸν συνδυασμὸν, μάλιςα μὲν ἵππος. Incenduntur libidine ex fœminis equæ potissimùm. Arist., Hist. Animal., lib. VI, cap. XVIII.
  3. In furias agiantur equæ, spacioque remota
    Per loca dividuos amne sequuntur equos.
    Ovid., lib. II, v. 487, de Arte Am.

  4. Virgil., Georgic., lib. III, vers. 266.