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SUR LES LIBELLES DIFFAMATOIRES.

que messieurs de l’académie n’oublient point, dans le supplément qu’ils pourront donner au dictionnaire des arts, la signification propre des termes d’impie, d’hérétique, de destructeur des fondemens évangéliques, de fauteur des sociniens, etc., quand ils se trouvent dans les pièces d’un procès théologique ; car autrement les langues mêmes deviendront barbares à la plupart des lecteurs.

(D) Un homme de qualité..... a poussé sa pointe, dit-on, jusqu’à la maison royale, et jusques au chef. ] J’ajoute ce dit-on, parce qu’encore que le bruit public ait donné à un même auteur l’Histoire amoureuse des Gaules, et les Amours du Palais-Royal ; cet auteur n’a point reconnu pour sien ce dernier ouvrage ; il a même nié juridiquement qu’il l’eût composé : car c’est de ce livre que l’on doit entendre ce qu’il écrivit en ces termes à M. de Saint-Aignan. Mes ennemis, me voyant à la Bastille, crurent que la prison me mettait hors d’état de me défendre, et qu’ils pouvaient impunément m’accuser : ils dirent donc au roi que j’avais écrit contre lui ; mais Sa Majesté, qui ne condamne jamais personne sans l’entendre, les surprit fort en m’envoyant interroger par le lieutenant criminel [1]... Après qu’il m’eut fait connaître l’histoire écrite de ma main, je veux dire l’original dont je vous viens de parler, il me demanda si je n’avais rien écrit contre le roi. Je lui repondis qu’il me surprenait fort, de faire une telle question à un homme comme moi. Il me dit qu’il avait ordre de me le demander. Je répondis donc que non, et qu’il n’y avait pas trop d’apparence qu’ayant servi vingt-sept ans, sans avoir eu aucune grâce, étant depuis douze ans mestre de camp général de la cavalerie légère, et attendant tous les jours quelque récompense de Sa Majesté, je voulusse lui manquer de respect : que pour détruire ce vraisemblable-là il fallait ou de mon écriture, ou des témoins irréprochables : que si l’on me produisait l’un ou l’autre en la moindre chose qui choquât le respect que je devais au roi, et à toute la famille royale, je me soumettais à perdre la vie ; mais que je suppliais aussi Sa Majesté d’ordonner le même châtiment contre ceux qui m’accuseraient sans me pouvoir convaincre [2] ..... Depuis ce temps-là n’ayant vu ni le lieutenant criminel, ni aucun autre juge, j’ai bien cru qu’une si noire et si ridicule calomnie n’avait fait aucune impression dans un esprit aussi clairvoyant et aussi difficile à surprendre que celui du roi [3]. Ce qu’il dit ailleurs de feu madame est une preuve que les principales têtes de la cour ne le crurent pas coupable sur le second chef d’accusation. La mort de madame Henriette d’Angleterre, dit-il [4], fut un nouveau malheur pour moi. Elle m’avait rendu plusieurs bons offices auprès de Sa Majesté, et j’en espérais d’autres d’elle. Car, outre qu’elle avait joint à beaucoup d’esprit des manières qui la faisaient aimer et respecter de tout le monde, elle était née généreuse et bienfaisante. Admirons ici l’indocilité du public ; il s’obstine à croire que ces deux ouvrages sont du comte de Bussy ; rien ne l’en saurait faire démordre, ni les passages qu’on vient de citer, ni la différence qui se trouve entre ces deux pièces, et qui est sensible aux fins connaisseurs ; car il a bien plus d’art et plus de génie dans la première que dans la seconde : on ne voit pas dans celle-ci les pensées de Pétrone comme dans l’autre. Le Journaliste de la Société royale n’a pas ignoré ces imitations de Pétrone. Voici ce que nous lisons dans la traduction latine de son Journal du mois d’août 1669. Non ita pridem amorosam Byssi Galliarum Historiam cum Petronio Arbitro, ex quo illum duas ejus epistolas sumpsisse mihi dicebatur, conferens, inter alias amoris blanditias, librum percurrens id inveni, quod mihi non parùm de hoc limacum subjecto satisfecit, nimirùm quòd eadem animalia, sicut et alia naturæ miranda, ut truffi et fungi, sicut et procul dubio cossi, vel magni quercuum vermes, aliæ romanæ deliciæ, ab antiquis veneri incitandæ usurparentur : hic enim legere licet, quo pacto miser et debilis amator se præparat cochlea-

  1. Le comte de Bussy Rabutin, Usage des Adversités, pag. 273, édition de Hollande.
  2. Là même, pag. 272.
  3. Là même, pag. 274.
  4. Là même, pag. 292.