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ZABARELLA.

immobiles en tant qu’elles ne sont pas mobiles par elles-mêmes, mais seulement par accident. Or, quoiqu’elles soient mobiles par accident, on ne laisse pas de les appeler premiers moteurs, selon l’ordre qui est essentiel aux choses mouvantes. Si hunc Aristotelis discursum consideremus, manifestum est, per eum nos non duci ad alium motorem immobilem, quàm latè acceptum, qui animas quoque animalium mortalium complectatur ; immobiles enim sunt, quatenùs non sunt per se mobiles, quum incorporeæ sint, sed tamen sunt per accidens mobiles ; neque per id fit, quin dicantur motores primi juxta ordinem moventium essentialem [1]. Il ajoute que ceux qu’il combat ayant bien senti le défaut de l’argument ont suppléé ce qui y manque, et s’y sont pris de cette façon : Le ciel se meut, il est donc mû par une autre chose : il y a donc un premier moteur immobile. Mais ce moteur est-il éternel ou ne l’est-il pas ? S’il l’est, nous avons ce que nous cherchons : le mouvement du ciel, quel qu’il puisse être, ne fût-il que de deux jours, nous conduit à l’existence de Dieu. Que si ce moteur n’est pas éternel, il périra donc un jour ; il y a donc quelque chose qui le détruira, il n’est donc pas le premier moteur, il faut lui ôter ce caractère et le donner à cette autre chose qui le fera périr. Nous étions pourtant montés jusques au premier moteur, et nous raisonnions sur cette hypothèse : quelle absurdité donc n’est-ce pas que de répondre ce qui contrevient à une supposition dont les parties contestantes étaient convenues ? Mais enfin cette chose, qui fera périr tôt ou tard ce que nous avions considéré comme le premier moteur immobile, ne sera-t-elle pas ce premier moteur ? Et pour l’être, ne faut-il pas qu’elle n’ait rien au-dessus de soi qui puisse produire en elle aucun changement ? Elle est donc éternelle, elle est donc ce qu’il nous fallait trouver en suivant la piste de l’argument d’Aristote. Voyons la réplique de Zabarella ; elle porte uniquement sur la solution de ce dilemme : le premier moteur est éternel ou il ne l’est pas ; s’il l’est, nous avons gagné ; s’il ne l’est pas, il y a donc un autre moteur qui le peut détruire, il y a donc un moteur au-dessus du premier moteur. Or cela est absurde et contraire à la supposition dont l’on était convenu. Il répond [2] que le premier moteur que ses adversaires ont trouvé n’est pas éternel, et que c’est un être de même nature que l’âme des bêtes, que c’est la forme du ciel, et que le ciel, étant composé des quatre élémens contraires les uns aux autres, a commencé et finira tout comme les autres parties du monde ; que de la ruine du ciel résultera nécessairement la destruction de l’âme motrice du ciel [3], qu’elle ne périra point par l’action d’un premier moteur, et qu’ainsi de ce qu’elle sera détruite, il ne s’ensuit pas qu’il y ait au-dessus d’elle un agent ou une cause efficiente ; il suffit qu’elle soit unie à un corps périssable de sa nature ; car la corruption de ce corps entraîne nécessairement la corruption de sa forme ou de l’âme qui faisait en lui les fonctions de premier moteur. Quando igitur hi dicunt, si primus motor universi est corruptibilis ergò non est primus, negandum est consequens ; ad probationem autem, quum dicunt, corrumpetur à motore priore, quoque est negandum ; non enim ex eo quòd est corruptibilis, requiritur motor prior, à quo corrumpatur, sed quum sit incorporeus, et forma corporis, satis causæ est ad ipsum interimendum corruptibilitas corporis, cujus est forma ; corpus autem ipsum, quum sit elementare, à suo contrario lædi et interimi potest [4]. C’est pourquoi, conclut-il, le mouvement en général ne prouve autre chose sinon qu’il y a un premier moteur immobile de la manière que le sont les âmes des animaux, et il n’y a qu’un mouvement éternel qui soit la preuve d’un premier moteur éternel. Ex

  1. Aristot. in VIII lib. Phys. auscultationis, pag. 255.
  2. Idem, ibidem, pag. 256.
  3. Dicam itaque, ex interitu cœli necessario fieri ut anima quoque motrix intereat, quia licet hæc contrarium non habeat, tamen ex subjecti corporis interitu ex necessitate deficeret, quum sit materialis, quales sunt animæ animalium ; animam humanam semper excipio. Idem, ibidem.
  4. Idem, ibidem.