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SUR LES LIBELLES DIFFAMATOIRES.

Madrid, ayant surpris quelques-uns de ces ouvrages injurieux contre le cardinal Adrien, et contre Lachaux, ambassadeurs de Charles, il les leur fit voir, et ils en eurent un très-sensible déplaisir ; surtout Adrien en fut quelque temps inconsolable. On rapporte qu’étant depuis élevé à la chaire de saint Pierre, et ne pouvant souffrir les statues de Pasquin et de Marforio, que les esprits plaisans et malins ont choisis pour les confidens et pour les auteurs de leurs médisances, il avait ordonné qu’on les jetât dans le Tibre : ce qui aurait été exécuté si le duc de Sessa, ambassadeur d’Espagne, ne lui eût dit fort sagement : Que faites-vous, saint père ? encore vaut-il mieux pardonner à ces deux personnages muets que de faire parler toute la ville. Quand vous les jetterez dans l’eau, les grenouilles nous chanteront les railleries qu’ils nous faisaient lire en passant ; et ce que deux pierres ne diront plus, toutes les bouches vivantes le publieront. Le pape profite de cet avis, et fut dans la suite moins délicat sur ce sujet [a]. » Afin qu’on voie un plus grand détail sur la sensibilité de ce pontife, je rapporte les paroles de Paul Jove, qui nous apprennent qu’il fallut que l’ambassadeur d’Espagne revînt à la charge. Gravissimè etiam tulerat se famosis carminibus apud Pasquilli statuam fuisse laceratum, sed id posteà civili animo tulit, cùm didicisset, eam maledicendi licentiam obscurorum hominum libertati atque nequitiæ dari, ut cùm insignes viros impunè carpserint, fortunam suam eâ vindictâ voluptate consolentur. Decreverat Hadrianus uti poëtis non obscurè subiratus, Pasquilli statuam, quæ erat in Parione, demoliri, atque eam in Tyberim præcipitare : sed Ludovicus Suessanus urbano salsoque ingenio id fieri debere pernegavit, subdens, Pasquillum vel in imo vado ranarum more, non esse taciturum. Ad id verò pontifex, Exuratur ergò, inquit, in calcem, ne ejus vestigii ulla omninò memoria supersit. Tum rursùs Suessanus, rectè, inquit, sed tam crudeliter concremato poëtæ clientes non deerunt, qui patroni cineres invidiosis carminibus prosequantur, et supplicii locum quotannis statuto solenni die concelebrent. Quibus verborum lusibus pontifex ab iracundiâ ad jocos hilaritatemque sensus omnes lenissimè revocavit [b].

XIII. Princes qui ont méprisé les médisances.

L’insensibilité du cardinal Ximénès pour les médisances s’est vue dans quelques princes. Voyez, dans Sénèque [c], l’impunité qui fut accordée par Antigonus [d]

  1. Fléchier, Histoire du cardinal de Ximénès, liv. VI, pag. 814, édition de Hollande.
  2. Paulus Jovius, in Vitâ Hadriani VI, pag. m. 277, 278. Voyez aussi Camérarius, Méditation historiques, tom. II, liv. IV, chap. II, pag. 277 et 278 de la traduction française de Simon Goulart, où il suppose que la deuxième réponse fut d’un cardinal, et non pas de l’ambassadeur, et que la statue était de bois.
  3. Seneca, de Irâ, lib. III, c. XXII.
  4. Il n’était pas aïeul d’Alexandre le Grand, comme dit Sénèque.