nellement (A). Ce que l’on dit des premières impressions en général, qu’elles sont de longue durée,
Quo semel est imbuta recens servabit odorem
Testa diù [a],
est très-vrai en particulier de ces
premières altérations qu’on fait
souffrir aux événemens dès leur
naissance, par des relations déguisées
que l’on débite à la
chaude, et que l’on répand
partout le plus promptement
qu’il est possible. C’est un péché
originel dont on ne peut nier la
propagation : trop d’exemples la
prouvent ; et c’est là le grand désordre :
car comme tous les peuples
sont assez semblables à celui
dont un cardinal légat disait, en
lui donnant sa sainte bénédiction,
puisqu’il veut être trompé,
qu’il le soit ; et comme d’ailleurs
on ne saurait révoquer en doute
qu’une fausse nouvelle crue trois
jours ne soit capable de faire
beaucoup de bien à un état (B),
au lieu qu’une nouvelle véritable
crue autant de temps est capable
de le perdre, il ne faut pas
trouver étrange que les premières
relations soient remplies
de déguisement : la politique le
veut, elle que quelqu’un a définie
ars non tam regendi, quàm
fallendi hominem (C). Mais il en
faudrait revenir, et c’est ce qu’on
ne fait jamais de bonne grâce ;
et si quelques-uns le font, cela
ne sert plus de rien : tant de plumes
ayant déjà canonisé les premiers
bruits, que pour le moins
il se forme des partages de sentiment
par toute la terre [b].
Ce n’est pas assez que de comparer ces indignes écrivains à des harpies, qui salissent tout ce qu’elles touchent [c] : on peut dire que ce sont des bourreaux qui tordent le cou, les bras et les jambes aux faits historiques, et même qui les leur coupent quelquefois, et leur en appliquent de postiches ; et cela presque au moment même qu’un événement est sorti du sein de ses causes, et que les exploits d’une bataille ne font que de naître,
Modò primos incipientes
Edere vagitus, et adhuc à matre rubentes [d].
L’on a dit autrefois des Muses qu’elles se prostituaient même à des esclaves ; c’est ce qu’on peut dire principalement de celle qui préside à l’Histoire [e] : c’est un véritable scortum triobolare, qui se tient sur les grands chemins, et qui se livre au premier venu pour un morceau de pain. Son marché avec libraires est bien au-dessous de celui des Baudoins et des du Ryer, avec qui c’était un prix fait, qu’ils traduiraient à trente sous ou à un écu la feuille, et qu’ils feraient des vers à quatre francs le cent quand ils étaient grands, et à quarante sous quand ils étaient petits [f].
- ↑ Horat., epist. II, lib. I, vs. 69.
- ↑ Voyez le passage de Tacite que j’ai cité ci-dessus, cit. (57) de l’article Usson, tom. XIV, pag. 518.
- ↑
At subitæ horrifico lapsu de montibus adsunt
Harpyiæ et magnis quatiunt clangoribus alas,
Diripiuntque dapes, contactuque omnia fœdant
Immundo : tum vox tetrum dira inter odorem.
Virg., Æn., lib. III, vs. 225. - ↑ Juv., sat. VII, 195.
- ↑ C’est Clio. Λέγεται τῶν Μουσῶν ἠμὲν Κλειῲ εὑρῃκέναι τὴν ἱςορὶαν. Scoliast. Apollonii, in lib. III.
- ↑ Voyez M. Baillet, Jugement des Savans sur les Traducteurs français, art. 948 et 949.