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SUR LES LIBELLES DIFFAMATOIRES.

quoiqu’il soit plus à propos que de telles gens soient notés par le censeur, que par un poëte ; mais il est insupportable qu’un Périclès n’en soit pas exempt. Apud Græcos antiquiores fuit lege concessum, ut quod vellet comœdia nominatim vel de quo vellet diceret [a] ; itaque sicut in eisdem libris loquitur Africanus quem illa non attigit, vel potiùs quam non vexavit, cui pepercit ? Esto : populares homines improbos, in rep. seditiosos, Cleonem, Cleophontem, Hyperbolum læsit : patiamur, inquit, et si hujusmodi cives à censore meliùs est quàm à poëtâ notari : sed Periclem cùm jam suæ civitati maximâ autoritate plurimos annos domi et belli præfuisset, violari versibus et eos agi in scenâ, non plus decuit, quàm si Plautus, inquit, noster voluisses aut Nævius Publio et Cneo Scipioni, aut Cæcilius Marco Catoni maledicere [b]. De tous les trésors du monde il n’y en aurait point de plus exposé à la teigne et la rouillure, et aux mains ravissantes des larrons, que l’honneur et que la bonne renommée, si l’on ne réprimait pas l’audace des écrivains satiriques : car comme par je ne sais quelle fatalité bien funeste, l’esprit de médisance et de vengeance se trouve souvent conjoint avec les apparences d’une vie austère, l’impunité des libelles en ferait éclore un très-grand nombre, qui porteraient coup contre les plus honnêtes gens ; et pour peu que l’on irritât un faux dévot ou un fanatique bilieux, on se verrait déchiré cruellement par sa plume, et la crédulité populaire pour ces sortes d’écrivains leur fournirait un asile, à l’égard même des calomnies les plus extravagantes. Si ces gens-là ne renvoyaient pas à la fin les vertus, par où il faut commencer la vie dévote : les vertus, dis-je, qui font l’honnête homme, et s’ils profitent du meilleur avis que l’on leur puisse donner, qui est de ne se point mêler d’être dévots avant que d’être gens de bien [c], ils ne se distingueraient pas comme ils font par leurs discours satiriques et par leurs écrits diffamatoires.

VII. Ce qu’il faut réponde aux apologistes des libelles.

On voit par-là ce qu’il faut répondre à ceux qui disent que libelles font du bien à la société, en tant qu’ils empêchent plusieurs personnes de l’un et de l’autre sexe de sortir des bornes de la bienséance : c’est un frein, disent-ils, qui les retient : ôtez-leur la crainte d’être diffamés jusqu’au bout du monde, et dans tous les siècles à venir par quelque satire ingénieuse, il n’y aura point d’excès à quoi ils ne se précipitent. Chansons que tout cela. On ne voit pas que jusqu’ici il y ait jamais eu disette de ces libelles, et cependant le monde n’est point amendé et n’amende point. De plus, ce prétendu frein ne deviendrait-il pas inutile par l’abus qu’on ferait de ce remède, en diffamant sans quartier ni dis-

  1. Voyez Horace, au commencement de la IVe. sat. du Ier, liv.
  2. August., de Civit. Dei, lib. II, c. IX, ex Ciceronis, lib. IV de Republicâ.
  3. Voyez les Réflexions sur les Défauts d’autrui, imprimées à Paris l’an 1690.