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SUR LE LIVRE DE JUNIUS BRUTUS.

manières par leurs écoliers ; littéralement par les uns, paraphrasé par les autres, en vers ou en grec par quelques-uns, en deux sortes de prose latine par quelques autres. C’est toujours le même thème, toujours la même chose, sous différens mots. Le public n’étant point payé pour cela ne doit pas s’y laisser réduire. Or il est certain qu’on nous a tant de fois rebattu les mêmes choses, et qu’on a laissé si loin derrière soi les bornes posées dans le nombre de dix, qu’il ne faut pas s’étonner que cette pluie tombe moins dru présentement. Tout le monde s’en mêlait [1] ; il ne serait donc pas étrange que le métier n’en valût plus rien.

(D) M. de la Mare adjuge le livre. C’est dans un ouvrage qui n’est point encore imprimé. ] J’en parlais ainsi l’an 1696 ; mais présentement il faut que je dise qu’on l’a imprimé à Hall en Saxe, l’an 1700. Je n’y ai pas trouvé ce que j’en avais attendu ; M. de la Mare me laisse dans toute l’incertitude où je pouvais être auparavant. Il dit [2] que l’année 1580 fut fertile en écrits de politique, puisqu’outre le Traité de la Servitude volontaire, composé par la Boétie, et la Franco-Gallia d’Hotman, on vit paraître le Vindiciæ contra Tyrannos, ouvrage, continue-t-il, composé par Hubert Languet. Cela est très-certain, j’en ai bien des preuves, et quand je n’aurais que celle dont je vais parler, j’en aurais suffisamment. Ad Vindicias rodeo, quas etsi nonnulli tribuere videantur Francisco Hottomano, certissinum tamen est illarum auctorem esse Languetem, cujus rei quamvis alia me deficerent argumenta, sunt autem quàm plurima, unum instar omnium hoc erit, quod modò sum prompturus Antonii Vioni Herovallii fide [3]. Cette grande preuve, l’unique que M. de la Mare ait voulu communiquer au public, consiste en ceci, c’est qu’il avait ouï dire à M. Vion d’Hérouval, qu’Henri III ayant su que Simon Goulart connaissait l’auteur du Vindiciæ contra Tyrannos, le fit venir tout aussitôt, et lui demanda le nom de cet écrivain ; que Goulart se contenta de répondre que son serment l’engageait à ne rien dire pendant la vie de cet auteur ; que le roi ajouta en vain les menaces aux prières, et que rien ne fut capable d’ébranler la fermeté de Goulart, qui, par un exemple rare de fidélité et d’amitié, persista à tenir caché pendant la vie de Languet le mystère qui n’avait été confié qu’à lui. Cui (Henrico III) cùm Gulartius præfractè respondisset, non nisi post auctoris obitum nomen illius revelare sibi licitum esse, quod solemni sacramento observaturum se promiserat, rexque precibus minas adderet, perstitisse tamen in proposito Gulartium, neque precibus neque minis adduci unquàm potuisse, ut priusquàm fato functus fuisset Languetus, quod sibi soli commiserat arcanum proderet, raro constantis fidei et amicitiæ exemplo [4]. Voilà une preuve qui ne nous sert de rien ; car quand même M. Vion d’Hérouval aurait mieux connu les circonstances du fait, nous n’apprendrions de lui que ce qu’on savait déjà. Il est visible qu’il tenait, ou médiatement ou immédiatement, de l’Oraison funèbre de Simon Goulart, les particularités qu’il raconta à M. de la Mare. Il ne pouvait donc pas être un nouveau témoin. Or, soit par un défaut de mémoire, soit que d’autres l’eussent mal instruit de la narration de Théodore Tronchin, il la rapporta très-mal, puisqu’il n’est point vrai qu’Henri III ait mandé Simon Goulart, qu’il l’ait prié, qu’il l’ait menacé, et que Goulart ait répondu que son serment l’engageait à ne rien dire, et que le secret n’avait été confié qu’à lui. Je m’étonne que M. de la Mare ait cru qu’un ministre répondit impunément de cette façon à Henri III. Je ne parle point de la fausse époque qu’il donne au livre d’Étienne de la Boétie, et à celui de François Hotman.

(E) Un Anti-Valérien. ] M. Baillet [5] dit que l’Anti-Valérien attaque un livre de controverse du père Valérien Magni, imprimé à Vienne en Autriche, l’an 1641, sous le titre de

  1. Expectes eadem à summo minimoque poëtâ.
    Juven., satir. I, vs. 14.

  2. Vitâ Huberti Langueti, pag. 113.
  3. Idem, pag. 124.
  4. Ibid, pag. 125.
  5. Baillet, dans ses Anti, num. XXXIX.