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SUR LE LIVRE DE JUNIUS BRUTUS.

vu que depuis l’an 1616, date de la première édition, il avait découvert tout le mystère. Écoutons-le donc dans la seconde édition, qui est de l’an 1626. « [a] Voilà premièrement les plumes déployées en tous genres d’écrire, soit pour la religion, soit pour l’état. Le premier point produisit infinité de livres ; pour le second il en courut un que je remarquerai entre les autres, ayant pour titre : Défenses contre les Tyrans. Là était amplement traité jusques où s’étend l’obéissance aux rois ; à quelles causes et par quels moyens on peut prendre les armes ; à qui il appartient les autoriser : si on peut appeler les étrangers ; si eux peuvent donner secours légitimement. Ottoman fut long-temps et à tort soupçonné de cette pièce, mais depuis un gentilhomme français, vivant lorsque j’écris, m’a avoué qu’il en était l’auteur. Mais il s’est trouvé enfin qu’il lui avait donné le jour, l’ayant eu en garde par Hubert Languet, de la Franche-Comté [b], agent en France pour le duc de Saxe. » En un autre endroit de son Histoire [c] il répète la même chose en ces termes : Il paraissait un autre livre qui s’appelait Junius Brutus, ou Défense contre les tyrans, avoué par un des doctes gentilshommes du royaume, renommé pour plusieurs excellens livres et vivant encore aujourd’hui avec autorité ; traitant les questions des bornes de l’obéissance qu’on doit aux rois ; en quel cas il est permis de prendre les armes contre eux : par qui telles choses se doivent entreprendre : si les voisins peuvent justemens donner secours aux peuples : en quel cas et comment toutes choses s’y doivent conduire : tout cela traité en grand jurisconsulte et grand théologien. Depuis on a su qui en était le vrai auteur, savoir Humbert Languet [d].

V. Trois remarques sur d’Aubigné.

Je remarquerai trois choses sur ces deux passages de d’Aubigné.

La première est que je ne crois pas que le livre en question ait été jamais intitulé, Junius Brutus ; et ainsi cet historien aura pris le nom de l’auteur pour le titre de l’ouvrage ; ce qui, au pis aller, n’est que s’être un peu écarté de la rigoureuse exactitude. Ce n’est pas qu’au fond l’ouvrage n’eût pu être intitulé Junius Brutus, et qu’il ne puisse être cité ainsi ; mais il ne s’agit pas de cela ; on sait assez qu’un nom propre a été souvent le titre d’un livre, qu’il y a même un Traité de Cicéron intitulé Brutus, et l’on n’ignore pas que l’usage donne de grands droits pour abréger une citation. Ce n’est donc point là de quoi il s’agit : la question est si le livre dont nous parlons a eu le titre que d’Aubigné et Boéclérus lui attribuent,

  1. D’Aubigné, tom. I, liv. II, ch. XVII, pag. 124.
  2. D’Aubigné se trompe ; Languet était de Viteaux dans le duché de Bourgogne.
  3. Tom. II, liv. II, chap. II, pag. 670.
  4. On voit assez que c’est ou une faute d’impression ou un petit défaut de mémoire, comme il arrive souvent sur les noms propres, et qu’il faut lire Hubert Languet.