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ZUÉRIUS.

de voir paraître l’innocence d’un fameux ministre : il eût été au contraire très-édifié de la honte d’un faux dénonciateur. Une dispute par écrit sur cette matière ne pouvait venir trop tôt, puisqu’elle pouvait contribuer si puissamment à montrer l’innocence du ministre, et la calomnie de son censeur. Plus les critiques eussent agi selon l’ardeur de leurs premiers mouvemens, plus se fussent-ils enferrés. Un habile homme aurait profité de leur fougue. Mais accordons à M. Jurieu que ses délais étaient raisonnables ; qu’y gagnera-t-il ? puisque la suite a montré qu’il ne songeait point à l’impression. Un an s’est déjà passé sans que l’on ait vu ni les deux sermons ni aucun livre sur la haine du prochain. Est-ce que le feu des adversaires n’est pas encore un peu passé ? Mais si tout sent la mauvaise foi dans les raisons qu’il a alléguées touchant la suppression des deux sermons, tout la sent aussi dans les Réflexions qu’il a faites sur la Dénonciation.

VIII. Il n’a point distingué l’une de l’autre les deux choses que le dénonciateur a si nettement distinguées. Voyez ci-dessus les deux points de la Dénonciation. Le premier regarde les dogmes que M. Jurieu débita ; le second concerne les suites que peuvent avoir ces dogmes. Tous ceux qui savent la polémique nous enseignent que les conséquences qui résultent d’une doctrine ne doivent point être imputées au défenseur de cette doctrine, quand on sait qu’il les rejette : mais soit qu’il les rejette, soit qu’il les admette, il est permis de les lui marquer, parce que ce peut être un moyen de le convertir. Combien y a-t-il de gens qui abandonneraient un principe s’ils connaissaient les mauvaises conclusions qu’on en peut légitimement tirer ? Ainsi le dénonciateur n’a rien commis qui ne soit dans l’ordre, lorsque, pour induire plus fortement le synode à censurer l’hérésie qu’il dénonçait, il en a montré les pernicieuses conséquences. Il eût mal fait s’il eût dit que M. Jurieu les avait prêchées nommément et expressément ; mais c’est ce qu’il n’a point fait : les plus ignorans peuvent discerner avec autant de facilité que les plus savans quelles sont les propositions qu’il lui impute, et quelles sont les propositions qu’il infère de celles-là, sans prétendre qu’il les ait prêchées : peut-on donc croire que M. Jurieu ait agi de bonne foi en confondant ces deux sortes de propositions ? N’est-il pas visible qu’afin de tromper les bonnes âmes et les esprits crédules, il s’est plaint qu’on l’a accusé d’avoir prêché qu’il est permis de communier le cœur plein de haine, et d’une bouche qui fulmine des malédictions ? Tous les auditeurs à qui on aura demandé s’ils ont ouï sortir de sa bouche une telle proposition, auront répondu que non, et néanmoins, se sera-t-on écrié, voilà ce que ce malheureux dénonciateur lui impute ; après une telle calomnie que peut-on attendre de lui ? Tout son écrit n’est qu’un infâme libelle. Cet artifice, tout grossier qu’il est, a pu tromper une infinité de gens, et c’est pour cela que M. Jurieu s’en est servi dans sa réponse. Disons la même chose de cette autre proposition qu’on l’accuse d’avoir prêchée, dit-il : Il faut rompre tout commerce de la vie civile avec les papistes, mennonites, arminiens, etc., c’est-à-dire qu’on ne devrait pas même prendre ni donner des lettres de change des Juifs dessus la bourse. Il est très-faux qu’on l’ait accusé d’avoir prêché ces paroles et d’être descendu dans un tel détail ; il faudrait le prendre pour un fou si on l’accusait de semblables choses. On a seulement représenté au synode, qu’à vivre conformément aux dogmes qu’il a prêchés il ne faudrait entretenir aucun commerce avec les ennemis de la vérité. C’est à lui à rajuster comme il pourra ses principes avec ces monstrueuses conséquences.

Remarquez bien qu’il y a des conséquences qui ont une liaison si prochaine et si nette avec leur principe, qu’on ne saurait jamais se persuader qu’un habile homme qui enseigne le principe rejette ces conséquences. Si une fois vous enseignez qu’il est permis de haïr et de maudire les persécuteurs, comment pouvez-vous nier qu’il ne soit permis de se présenter à la table le cœur plein de haine, et la bouche pleine de malédictions contre les persécuteurs ? N’est-il pas évident qu’afin de se préparer à la communion il suffit de renoncer aux choses