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ZUÉRIUS.

III. Le dénonciateur n’a pas été obligé de répondre à l’écrit du dénoncé ; car il a dû attendre ce que le synode ferait dans ce conflit d’affirmative et de négative : et ayant vu que le synode ne se voulait point mêler de cette question, il a dû l’abandonner, vu qu’un simple particulier n’a point droit de faire prêter interrogatoire, et c’était la seule voie de vider le différent. Ainsi l’on ne peut tirer aucun préjugé favorable à M. Jurieu de ce que le dénonciateur n’a point soutenu son premier écrit par un second ; car tous les écrits du monde eussent été inutiles, à moins que les supérieurs ne fissent ouïr des témoins.

IV. C’est un fait certain et incontestable que les synodes wallons favorisent M. Jurieu. Il s’est loué plus d’une fois de la considération qu’ils lui avaient témoignée ; il s’est glorifié autant de fois des triomphes qu’ils lui avaient fait remporter sur ses ennemis. On n’a qu’à voir sa réponse à la dénonciation[1]. Ses adversaires se plaignirent de l’indulgence que les synodes ont pour lui, et remarquent qu’il a abusé de cette excessive tolérance[2]. On peut voir l’histoire de cette faveur synodale dans le livre de M. Saurin, ministre d’Utrecht [3]. On peut tirer de cela deux conséquences : l’une pour disculper le silence du dénonciateur, l’autre à la charge de M. Jurieu. En effet, si de l’aveu même de ce ministre le synode de Bréda a jeté dans les balayures les accusations que les députés de quelques églises avaient portées contre lui ; si ce synode n’en a relevé que quatre, dont il a pris soin de justifier M. Jurieu, on comprend facilement que l’auteur de la dénonciation a dû se tenir en repos ; et s’il a eu raison dans le fond, la prudence n’a pas laissé de vouloir qu’il ne poursuivît point inutilement sa première pointe. L’autre conséquence dont j’ai à parler est celle-ci. Un synode qui favorise manifestement un ministre ne néglige point de s’informer d’une affaire lorsqu’il est sûr que l’information justifiera pleinement ce ministre, et confondra ses accusateurs. Puis donc que le synode, instamment sollicité pur l’auteur de la dénonciation de faire informer du fait, néglige toutes sortes de recherches, il est très-probable qu’on a craint de ne trouver rien de bon pour M. Jurieu. Ainsi la présomption est que ce ministre a prêché les hérésies qu’on a dénoncées.

V. Il est certain que M. Jurieu a été persuadé qu’un théologien était l’auteur de la dénonciation[4], et que tout le parti avec lequel il a eu de si rudes prises avait part à cette pièce. De là vient que presque toujours, dans ses réflexions, il se sert du nombre pluriel ces messieurs. On ne peut donc pas dire que s’il ne s’est point servi d’une voie très-efficace pour réfuter cette dénonciation, c’est qu’il n’y aurait gagné que la confusion d’un inconnu ; car il est sûr qu’il aurait cru y gagner la confusion de tous les ministres avec qui il est en guerre. D’où vient qu’il a négligé ses avantages dans une conjoncture si décisive ? D’où vient qu’il n’a point prié le synode de nommer des commissaires qui se transportassent sur les lieux pour interroger les auditeurs les plus capables ? D’où vient qu’il n’a produit aucune déposition en sa faveur, ayant tant d’amis qui ne lui auraient point refusé ce que la conscience leur eût permis de déclarer à sa décharge ? En un mot, d’où vient qu’il n’a pas publié ses deux sermons ? La dénonciation devait lui faire naître l’envie de les publier ; et, au contraire, elle a été cause qu’il en a arrêté l’impression. Il faudrait être vieux profès dans l’ordre des pyrrhoniens pour ne pas dire décisivement que cette conduite

  1. Ces messieurs sont bien incorrigibles : le synode de Leyden déchira leur libelle, et après qu’ils eurent ressuscité leurs objections sous une plus grande autorité, le synode de Bréda fit si peu de cas de tout ce fatras d’accusations, qu’il n’en releva que quatre, dont il prit soin de justifier M. J., et laissa tout le reste à quartier dans les balayures ; quoique son absence donnât à ses parties une pleine liberté dont ils surent bien se prévaloir.
  2. Dénonciation de la Nouvelle Hérésie, à la fin.
  3. Voyez la préface du livre qui a pour titre : Examen de la Théologie de M. Jurieu.
  4. L’auteur du libelle entasse tant de faussetés, qu’on croyait pas qu’il y eût un théologien capable d’imposer à son prochain d’une manière si destituée de pudeur. Réflexions sur la Dénonciation, page 1.