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ZOROASTRE.

toire, qui puissent souffrir sans dégoût et sans horreur un si énorme galimatias. Mais quoiqu’il en soit, me dira-t-on, voilà Zoroastre disculpé sur la principale accusation : il ne sera plus permis de prétendre qu’il a reconnu deux principes incréés, un Arimanius essentiellement méchant, qui existe par soi-même. C’est ce qui me reste à examiner.

I. Je réponds en premier lieu qu’il est hors de doute que les auteurs grecs qui ont donné à Zoroastre l’opinion des deux principes ont prétendu lui attribuer un sentiment qui était contraire et à la théologie commune et au dogme des aristotéliciens et des stoïciens : ces deux sectes s’accordaient avec le peuple sur ce point-ci, que le même Dieu, qui verse les biens sur la terre y verse les maux ; que s’il punit d’un côté il récompense de l’autre, etc. Or si l’on a prétendu que Zoroastre et les mages étaient dans un sentiment opposé à celui-là, il faut qu’on ait cru qu’ils enseignaient que le principe qui distribue les biens est distingué personnellement du principe qui fait le contraire, et que ces deux principes sont indépendans l’un de l’autre, et aussi éternels l’un que l’autre[1].

II. Cela se confirme par la raison qu’on ne recourait à cette hypothèse qu’afin d’éviter les embarras[2] qui se rencontrent dans la supposition que le même être qui est la cause du bien soit aussi la cause du mal. Or on ne les eût pas évités, si l’on eût dit qu’Arimanius était une production du bon Dieu ; car la question serait revenue, comment Arimanius, principe du mal, avait pu être produit par une cause infiniment bonne. Chacun comprend que, soit que l’on dise que Dieu produit lui-même tous les maux particuliers, soit que l’on dise qu’il produit Arimanius, qui est ensuite l’auteur nécessaire de tous les maux particuliers[3], cela revient à la même chose, quod est causa causae est causa causati. Ainsi Zoroastre n’eût pu se sauver d’aucune objection, si sa doctrine eût été telle que Shahristâni la rapporte[4]. Disons donc que les Grecs ne lui ont point imposé.

III. Je n’ignore pas qu’on me peut dire qu’ils ont mal connu les opinions des philosophes qu’ils nommaient barbares. Ce qu’ils ont écrit de la nation judaïque et des antiquités d’Égypte n’a rien d’exact. Qu’on répète cela tant qu’on voudra, je répondrai que les écrivains arabes ne sont pas une meilleure caution, quand ils parlent d’un philosophe aussi éloigné de leur temps que l’a été celui-ci.

IV. Je conjecture que ses sectateurs lui ont prêté charitablement, et pour leurs propres intérêts, la création du mauvais principe, et qu’ils en ont usé de la sorte depuis qu’ils ont été soumis à la dure domination des Mahométans, qui les abhorrent et qui les traitent d’idolâtres et d’adorateurs du feu. Ne voulant point s’exposer encore plus à leur haine et à leurs insultes, sous prétexte qu’ils reconnaîtraient une nature incréée et souverainement méchante, et indépendante de Dieu, ils ont trouvé à propos de donner une autre interprétation à cette partie de leur système ; car pour nier absolument qu’il ait admis deux principes, ils ne pourraient pas. On sait trop qu’il les admettait : « Le Tarikh Montekheb dit que Zoroastre, autour de la secte des megiousch ou mages, est aussi le premier qui a enseigné la doctrine des deux principes de toutes choses, et que le surnom de megiousch que l’on lui donne, est un nom corrompu par les Arabes, du mot persien méikhousch, qui signifie aigre-doux, à cause des deux principes bon et mauvais qu’il établissait[5]. Voilà un auteur qui attribue à Zoroastre le premier établissement de ce dogme ; mais M. Hyde nous va donner un passage qui fait ce système beaucoup plus ancien, et qui semble même dire que Zoroastre le réforma : Quod Persarum gen-

  1. M. Hyde convient que ceux dont Plutarque parle enseignaient cela. Voyez ci-dessus citation (77).
  2. Voyez Plutarque, dans le passage qui a été cité dans l’article Manichéens, tome X, page 192, citation (28), et dans la remarque précédente de ce présent article.
  3. La lumière et les ténèbres sont des causes qui agissent nécessairement et sans nulle liberté.
  4. Ci-dessus, citation (68).
  5. Herbelot, Biblioth. orientale, page 931, col. 1.