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ZOROASTRE.

imparfaits, desordonnez et indeterminez, il les a ordonnez et disposez tous deux, en sorte qu’il en a composé le plus beau et le plus parfait animal de tous. La substance du corps donc, qui est la nature qu’il[1] appelle susceptible de toutes choses, le siege et la nourrice de tout ce qui est engendré, n’est autre chose que cela. Quant à la substance de l’ame, il l’appelle, au livre intitulé Philebus, infinité, qui est la privation de tout nombre, de toute mesure et de toute proportion, qui n’a en soi ne fin, ne terme, ne plus ne moins, ne peu ne trop, ne similitude ne dissimilitude. Et celle qu’il dit au Timæus estre meslée avec l’indivisible nature, et devenir divisible par les corps, il ne faut pas entendre que ce soit ni multitude en unité, ni longueur et largeur en poincts : car ce sont qualitez qui conviennent plutost au corps que non pas à l’ame, ains ce principe-là desordonné, indefini, se mouvant soi-mesme, et ayant vertu mouvante lequel il appelle en plusieurs lieux necessité, en ses livres des Loix il l’appelle tout ouvertement ame desordonnée, mauvaise et mal-faisante. C’est l’ame simplement dite à par soi, laquelle depuis a esté faite participante d’entendement, et de discours de raison, et de sage proportion, afin qu’elle devinst ame du monde. Et aussi ce principe-là materiel, qui reçoit tout, avoit bien magnitude, distance et place ; mais de beauté, de forme et figure proportionnée, et de mesure, il n’en avoit point ; mais il en eut quand il fust accoustré, afin qu’il devint corps de la terre, de la mer, des estoiles et du ciel, des plantes et des animaux de toutes sortes. Or ceux qui attribuent à la matiere ce qu’il appelle au Timæus, necessité, et au traité de Philebus, infinité et immensité de plus et de moins, de peu et de trop, d’excez et de defaut, et non pas à l’ame, ils ne pourront pas maintenir qu’elle soit cause du mal, d’autant qu’il suppose tousiours que cette matiere-là soit sans forme ne figure quelconque, destituée de toute qualité et faculté propre à elle, la comparant aux huiles qui n’ont odeur quelconque leur, dont les parfumiers se servent à faire leurs parfums : car il n’est pas possible que Platon suppose que ce qui est de soi oiseux, sans qualité active, ni mouvement ou inclination à chose aucune, soit la cause et le principe de mal, ne qu’il la nomme infinité mauvaise et mal-faisante, ni aussi la necessité qui en plusieurs choses repugne à Dieu, lui estant rebelle, et refusant de lui obéir : car celle necessité, qui a renverse le ciel, comme il dit en son Politique, et le retourne tout au contraire : la concupiscence qui est née avec nous, et la confusion de l’ancienne nature, où il n’y avoit ordre quelconque, avant qu’elle fust rengée en la belle disposition du monde qui est maintenant, d’où est-ce qu’elle est venue és choses, si le sujet qui est la matiere estoit sans qualité quelconque, exempte de toute efficace de cause ? Et l’ouvrier, estant de sa nature tout bon, desiroit, autant qu’il est possible, rendre toutes choses semblables à soi, car il n’y a point de tiers, outre ces deux principes-là : et si nous voulons introduire le mal en ce monde, sans cause precedente et sans principe qui l’ait engendré, nous tomberons és difficultez et perplexitez de stoïques : car des principes qui sont en estre, il n’est pas possible que celui qui est bon, ne celui qui est sans force ne qualité quelconque, ait donné estre ni generation à ce qui est mauvais. Et n’a point fait Platon comme ceux qui sont venus depuis lui, lesquels à faute d’avoir veu et entendu le troisieme principe et troisieme cause, qui est entre Dieu et la matiere, se sont laissez aller, et tomber en un propos le plus estrange, et le plus faux du monde, faisans je ne sai comment venir du dehors casuellement la nature du mal par accident, ou bien de lui-mesme, là où ils ne veulent pas conceder à Epicurus qu’un seul atome gauchisse ni destourne tant peu que

  1. C’est-à-dire Platon.