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ZOROASTRE.

rapporté ce qu’on a vu ci-dessus, ajoute : Voilà ce que porte la fable controuvée par les mages[1]. Si l’on inférait de là qu’il rejetait en général toute l’hypothèse des deux principes, l’un bon et l’autre mauvais, on ne saurait guère ses sentimens. Il pouvait bien condamner les explications particulières des sectateurs de Zoroastre ; mais sans doute il admettait tout le fondement de leur système, que le dieu qu’ils appelaient bon n’est la cause d’aucun mal. J’ai cité divers endroits de ses œuvres où il se déclare là-dessus sans équivoque, et cependant ils ne nous découvrent point tout le fond de sa doctrine[2]. C’est pourquoi je mettrai ici quelques passages qui nous la feront mieux connaître. Je crois qu’elle était assez conforme au sentiment qu’il attribuait à Platon. Ce philosophe, dit-il[3], admet deux âmes du monde, l’une bienfaisante, l’autre malfaisante : « et laisse encore entre-deux une troisième cause, qui n’est point sans ame, ni sans raison, ni immobile de soi-mesme, comme aucuns estiment, ains adjacente et adherante à toutes ces deux autres, apettant toutefois tousjours la meilleure, la desirant et la pourchassant…… parce que la generation, composition et constitution de ce monde ici est meslée de puissances contraires, non pas toutefois égales, car la meilleure le gagne, et est plus forte, mais il est impossible que la mauvaise perisse du tout, tant elle est avant imprimée dedans le corps et dedans l’ame de l’univers, faisant tousjours la guerre à la meilleure. » Il expose plus amplement en un autre endroit cette doctrine de Platon, et nous fait entendre que l’origine du mal n’est point dans une matière insensible et inanimée, qui n’ait point d’action ni de qualités, et qui puisse recevoir toutes les formes imaginables, mais dans une matière qui se meut, et qui est unie à une âme dont les désordres ne peuvent être entièrement corrigés. Je dirai ci-dessous pourquoi je rapporte un si long morceau de son ouvrage.

«[4] Heraclitus dit qu’il n’y a eu ni dieu homme qui ait fait ce monde, comme craignant que si nous desavouyons Dieu pour créateur, il ne fust incontinent necessaire de confesser que l’homme en eust esté l’architecte et l’ouvrier : mais il vaut beaucoup mieux, suivant la sentence et avis de Platon, que nous avouyons, voire chantions, qu’il a esté fait et creé de Dieu, comme estant l’un le plus grand chef d’œuvre qui jamais ait esté fait, et l’autre le plus excellent ouvrier et la meilleure cause qui puisse estre : mais la substance et la matiere dont il a esté fait n’a pas esté creée, ains a de tout temps esté sujette à l’ouvrier, pour le disposer et ordonner, et le rendre, le plus qu’il seroit possible, semblable à soi, car generation ne se peut faire de ce qui n’est point, mais de ce qui n’est pas bien ou ainsi qu’il apartient… Or, avant la creation du monde, l’univers estoit un chaos, c’est à dire un desordre confus, lequel toutefois n’estoit pas sans corps, ni sans mouvement et sans ame, mais ce qu’il y avoit de corps estoit sans forme et sans consistance, et ce qu’il y avoit d’ame mouvante estoit temeraire, sans entendement ni raison, ce qui n’estoit autre chose qu’un desordre d’ame non regie par aucun jugement de raison. Car Dieu n’a point fait corps ce qui estoit incorporel, ni ame ce qui estoit inanimé ; comme le musicien ne fait pas la voix ni le baladin le mouvement, mais il rend bien la voix douce, accordante et harmonieuse, et le mouvement mesuré de bonne grace et bien compassé : aussi Dieu n’a pas fait la solidité palpable du corps, ni la puissance mouvante et imaginative de l’ame : mais ayant trouvé ces deux principes-là, l’un tenebreux et obscur, l’autre insensé et turbulent, tous deux

  1. Ἡ μὲν οὖν μάγων μυθολογία τοιοῦτον ἔχει τρόπον. Hoc modo se habent magorum fabulæ. Plut, de laide, pag. 370. B.
  2. Voyez ci-dessus, article Manichéens, rem. (C), tom. X, pag. 191, etc ; Pauliciens, citat. (67) ; article Périclès, citat. (71).
  3. Plut., ibidem, pag. 370, F.
  4. Plut., de Creat. Animæ, pag. 1014, 1015, version d’Amyot.