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USSÉRIUS.

rels d’un autre, vu que leur santé fragile les forcera de s’arrêter. Ils se sentiront épuisés, ils auront besoin d’attendre à se remettre à l’étude qu’un long repos ait réparé la dissipation des esprits. Si cette incommodité ne les persécute pas, il y en a d’autres qui les traversent, comme vous diriez le manque de livres. On peut supposer mille manières très-véritables qui empêchent l’égalité, et qui compensent le désavantage des interruptions ; et ainsi Garasse et la femme d’Henri Usher avançaient une maxime fort incertaine. Il est pourtant vrai qu’il y a certains auteurs de qui l’on peut dire, ils auraient été plus illustres s’ils avaient vécu dans le célibat, ou bien ils n’auraient pas pu faire tant de beaux ouvrages ; s’ils avaient été chargés de famille, On peut assurer aussi que certaines gens qui sont demeurés dans l’obscurité seraient devenus très-doctes, s’ils avaient vécu sans femme, sans maîtresse, sans enfans, sans procès, etc.

Notez que les moines n’ont pas autant de loisir que l’on s’imagine ; le chœur et le bréviaire dérobent beaucoup de temps à ceux qui aiment l’étude ; et si quelqu’on d’eux se distingue par le savoir et par la piété, on l’accable de confessions. Il ne peut guète se dispenser de la direction des consciences, et c’est une chose qui le tire très-souvent de son cabinet ; il faut donner audience à mille dévotes dont les scrupules sont assez souvent bizarres et d’un grand travers. Bellarmin n’avait pas eu tout le loisir que la femme de l’archevêque d’Armach s’imaginait. Voici ce que j’ai trouvé dans un ouvrage que l’on publia l’an 1625, « Le cardiual Bellarmin, de sainte mémoire, a dit souvent à l’illustrissime cardinal de la Rochefoucault, Monsignore veramente ci sono troppo christiani al mondo. Je vous assure, dit-il, que je suis accablé de gens et de visites ; et il faut que je vous avoue qu’il me semble qu’il y a trop de chrétiens au monde [1]. »

  1. François de Fontaine (c’est un faux nom qu’Étienne Binet, jésuite, se donna. Voyez Alegambe, pag. 435.) prédicateur du roi, Réponse aux Demandes d’un grand prélat touchant la hiérarchie de l’Église, et la juste Défense des privilégiés et des religieux, pag. 204, 205

USSÉRIUS (Jacques), neveu du précédent, et archevêque d’Armach, a été l’un des plus illustres prélats du XVIIe. siècle, soit qu’on ait égard à sa piété et à ses autres vertus, soit qu’on regarde sa profonde érudition. Il naquit à Dublin le 4 de janvier 1580. Il avait deux tantes qui lui apprirent à lire quoiqu’elles fussent nées aveugles : cela est fort singulier. Il fit des progrès si prompts dans les sciences, qu’à l’âge de dix-huit ans il se trouva assez fort pour disputer avec un fameux jésuite qui, comme un nouveau Goliath, défiait les protestans (A). Il fut ordonné prêtre l’an 1601, quoiqu’il fût encore au-dessous de l’âge que les lois prescrivent. Il fut choisi pour la profession en théologie à Dublin, environ l’an 1607, et il exerça cette charge pendant treize années. Il prit pour le sujet de ses leçons les controverses de Bellarmin. Il fut fait évêque de Meath l’an 1620, et archevêque d’Armach, l’an 1624 [a]. Il s’opposa avec beaucoup de vigueur au dessein qu’avait Falkland, vice-roi d’Irlande, de permettre aux papistes l’exercice public de leur religion (B), pourvu qu’ils payassent ce qui était nécessaire pour la subsistance des troupes. Il fit un voyage en Angleterre, l’an 1640, et ne retourna plus en Irlande ; les guerres civiles l’en empêchèrent, et le firent passer par un état assez fâcheux. Il mourut à Riegat dans le comté de Surrey, le 21 de mars 1655. Sa femme, qui était fille de Luc Challonier,

  1. Tiré de sa Vie, in Collectione Batesianâ.