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TOUCHET.

autre pour vous, que le feu roi votre fils, était en volonté de le faire mourir, afin que plus aisément il jouît de sa femme ; ce que ledit la Tour crut facilement, d’autant qu’il sait bien que ledit feu roi aimait fort sa femme, et facilement accorda de donner le poison à sa dite majesté, etc. Cette lettre est datée de Lausanne, le troisième mois de la quatrième année après la trahison, (c’est-à-dire après la St.-Barthélemi) et est signée Granchamp, qui était un gentilhomme de Nivernois, qui avait été ambassadeur à Constantinople, et engagé dans les intrigues de la Mole et de Coconnas. En IIIe. lieu, on ne saurait trop deviner par les paroles de M. Varillas, si la Tour mourut avant ou après le roi, et l’on en conclurait plutôt que ce fut avant qu’après : néanmoins il ne mourut qu’après ce prince, soit de regret, soit de poison, soit de peur, ou autrement.

Voici une chose qui ne fait pas déshonneur à Charles IX. « S’allant un jour promener aux Tuileries, voyant une femme (quoy que belle en perfection) toute nue passer la rivière à nage depuis le Louvre jusqu’au faubourg Saint-Germain, il s’arresta pour la voir : mais pendant qu’il estoit attaché par les yeux, comme le reste de la cour, elle avec un plongeon se desroba de sa veue. En fin estant revenue sur l’eau, et puis ressortie en terre aussi viste qu’un esclair, elle commença à tordre ses cheveux, et faire ce que dit Antipater de Venus,

» Voy n’agueres Venus hors de la mer sortant,
» Ouvrage d’Apelles, entre ses mains tenant
» Ses moettes cheveux, elle faict de sa tresse
» Humide l’espraignant, sortir l’escume espaisse ;


» Puis se retira emportant quant et soy les yeux et les cœurs de tout le monde. Mais neantmoins avec tout cela, encore que l’action semblast estre plaisante en soy, si est-ce que le roy la trouva si estrange et nouvelle, qu’on ne luy en ouit jamais dire un seul mot de louange, bien qu’il entendist la plupart de sa suitte, voire les plus retenus, dire tout haut plusieurs paroles d’admiration [1]. »

(G) On ne doit pas trouver étrange que je fasse des articles pour des femmes comme celle-ci. ] Le commencement de cet article, dans mon projet, contient ces paroles : « Les dictionnaires ne devraient pas oublier les personnes de cette catégorie : la figure qu’elles font dans le monde est assez relevée pour cela, et ce serait sans doute un livre tout-à-fait curieux, que celui que feu M, Colomiés avoit promis [2], et qu’il voulait intituler, Cupidon sur le Trône, ou l’Histoire des Amours de nos Rois depuis Dagobert. » Depuis l’impression du projet il a paru un ouvrage où l’on remonte plus haut que Colomiés ne voulait faire ; car on commence par Pharamond. J’aimerais mieux l’ouvrage de Colomiés que celui-ci. Cet auteur n’aurait rien dit qu’il n’eût tiré de quelque livre ; il aurait consulté des livres rares, et cité toujours ses témoins. Mais l’anonyme qui nous a donné l’Histoire des Galanteries des Rois de France, depuis le commencement de la monarchie jusqu’à Louis XIV ne cite personne, et ne nous rassure point contre les soupçons de roman. La première édition valait mieux que les suivantes ; elle était plus simple et moins chargée ; elle avait plus l’air d’une histoire. Je m’avisai un jour de la louer par cet endroit-là, devant le libraire qui l’avait donnée au public. Il me répondit sincèrement qu’on avait trouvé, par le débit, que c’était le principal faible de l’ouvrage, et qu’on y allait remédier dans la seconde édition, Le public n’a pas trouvé, me dit-il, assez d’intrigues et d’aventures merveilleuses dans cette pièce ; nous y en ferons mettre pour contenter les lecteurs. Depuis cet aveu je me défie de cet ouvrage beaucoup plus que je ne faisais. On verra bien des choses touchant Marie Touchet, que j’ai réfutées, ou que je n’ai pas rapportées, n’étant pas fort assuré qu’elles ne soient pas

  1. Pierre de Lancre ; conseiller au parlement de Bordeaux, Tableau de l’Inconstance et Instabilité de toutes choses, folio 52 verso.
  2. Colomiés, Gallia Orient., pag. 67.