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TOUCHET.

tôme qui parle) que durant sa maladie il s’échapa apres la royne sa femme, et s’y echauffa tant qu’il en abregea ses jours, ce qui a donné subject de dire que Venus l’avoit fait mourir avec Diane, ce que je n’ay su croire, car il ne s’en parloit à la cour parmi les bouches les plus dignes de foy, car j’y estois. Ce qu’il dit de Vénus et de Diane est une allusion à deux vers qu’il avait déjà rapportés, et qui étaient une espèce d’épitaphe de Charles IX.

Pour aimer trop Diane et Cytherée aussi,
L’une et l’autre m’ont mis en ce tombeau icy.

Papyre Masson, qui composa un Abrégé de la Vie de Charles IX, un an après la mort de ce prince, rapporte un fait qui peut-être n’est pas plus vrai que celui-là, mais qui est du moins plus vraisemblable. Il dit que le roi, pendant sa longue malade, alla voir une fois madame Touchet, sa maîtresse, et qu’on soupçonne que pour s’être diverti avec elle à contre-temps ou avec excès, il augmenta son mal, et hâta la fin de sa vie. Sanè rex ipse inter moras longissimi morbi semel ad eam divertit, suspicioque est auctum morbum ex importuno aut immodico coïtu et acceleratum vitæ finem [1]. M. le Laboureur [2] n’a pas bien rendu ce latin-là, car voici comment il le traduit : Aussi le roi l’ayant été voir une fois dans un intervalle de sa longue maladie, tient-on pour certain que pour n’avoir pas été en état de l’approcher, ou pour avoir fait quelque excès, son mal augmenta, et que cette visite hâta ses jours. Je ne dis rien de ce qu’il donne comme une certitude ce qui n’est qu’un soupçon dans le latin ; mais il me semble qu’il n’y a guère de lecteurs qui par ces paroles, pour n’avoir pas été en état, ne se figurent d’abord tout autre chose que ce que l’historien à voulu dire, quelque accident semblable à celui que M. de Rabutin a imité de Pétrone [3]. M. Varillas n’a pas manqué d’adopter ce passage de Papyre Masson. « Le roi fut dangereusement malade, dit-il [4], et ceux qui le connaissaient particulièrement en disaient à l’oreille deux causes. La première était sa course précipitée de Paris à Orléans, pour voir la belle Marie Touchet, sa maîtresse ; et la seconde, lui avoir été donné par son maître d’hôtel [5], la Tour, frère puîné du maréchal de Retz et de l’évêque de Paris. La vigueur extraordinaire de ce prince sembla pourtant depuis avoir surmonté la force de son mal, et l’appréhension que la Tour conçut du bruit qui s’était répandu contre lui le jeta dans une frénésie qui fut cause de sa mort peu de temps après. » M. Varillas ne cite que Papyre Masson.

C’est ce qui me donne lieu de faire quelques remarques ; car, I, l’auteur auquel M. Varillas nous renvoie ne dit pas que Charles IX ait été obligé de faire une course à Orléans pour voir Marie Touchet ; et il n’y a guère d’apparence qu’elle se tint si peu à la portée du roi, puisqu’elle était sa maîtresse tambour battant, et qu’elle avait déjà eu des enfans de lui. En IIe. lieu, il est si faux que Masson impute cet empoisonnement à la Tour, qu’au contraire il le fait mourir d’une maladie causée par la douleur d’avoir perdu, avec Charles IX, l’espérance d’une très-grosse fortune. Je ne nie pas que la Tour n’ait été accusé de ce mauvais coup par d’autres gens ; mais il fallait donc nous renvoyer ailleurs qu’à l’éloge de Papyre Masson. M. le Laboureur a inséré dans ses Additions aux Mémoires de Castelnau, à la page 462 du IIe. tome, une lettre satirique, où l’on reproche à Catherine de Médicis d’avoir fait empoisonner Charles IX par le sieur de la Tour, et puis celui-ci par un autre. Votre majesté fit si bien, dit l’auteur de cette lettre, qu’elle gagna le feu sieur de la Tour, lui faisant entendre, ou

  1. Papyr. Masso, in Vitâ Caroli IX.
  2. Additions à Castelnau, tom. II, pag. 879.
  3. Dans l’Histoire amoureuse des Gaules. Ovide, Amor., lib. III, eleg. VII, décrit au long un tel accident.
  4. Varillas, Histoire de Charles IX, tom. II, pag. 365, édition de Hollande, 1684.
  5. Brantôme le fait maître de la garde-robe : Papyre Masson le nomme Carolum Gondium enbicularium, Le Journal de Henri III le fait maître de la garde-robe, et met sa mort au 15 juin 1574, et l’attribue à une autre cause.