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TOUCHET.

il [1], qu’en son plus verd aage de dix-sept à dix-huit ans, étant un jour fort persecuté d’un mal de dents, et les medecins n’y pouvant appliquer aucun remede pour lui en oster la douleur, il y eut une grande dame de la cour, et qui luy appartenoit, qui luy en fit une receste dont elle en avoit usé pour elle-même, et s’en estoit tres-bien trouvée ; mais elle ne servit de rien à luy, et le lendemain, comme elle luy eut demandé comment il s’en estoit trouvé, et qu’il luy eust respondu que nullement bien, elle luy repliqua : Je ne m’estonne pas, sire, car vous ne portez point d’affection et ajoutez foy à femmes, et faictes plus de cas de la chasse et de vos chiens que de nous autres. Dont, lui dit-il, avez vous cette opinion de moy, que j’aime plus l’exercice de la chasse que le vostre, et pardieu, si je me depite une fois, je vous joindray de se près toutes vous autres de ma cour, que je vous porteray par terre les unes apres à les autres. Ce qu’il ne fit pas pourtant de toutes ; mais en entreprit aucune, plus par reputation que par lasciveté, et tres-sobrement encore, et se mit à choisir une fille de tres-bonne maison, que je ne nommeray point, pour sa maistresse, qui estoit une fort belle, sage et honneste damoiselle, qu’il servoit avec tous les honneurs et respects qu’il estoit possible, et plus, disoit-il, pour façonner et entretenir sa grace que pour autre chose, n’estant rien, disoit-il, qui façonnoit mieux un jeune homme que l’amour logé en un beau et noble subject. Et a tousjours aimé ceste honneste damoiselle jusques à la mort, bien qu’il eust sa femme, la royne Elisabeth, fort agreable et fort aimable princesse. Il aima fort aussi Marie Jacossie, dite autrement Touchet, fille d’un apothicaire d’Orleans, tres-excellente en beauté, de laquelle il eut M. le grand prieur, dit aujourd’hui M. le comte d’Auvergne. » Voilà de bon compte trois maîtresses [2] outre la femme légitime ; car on ne doit pas confondre celle dont M. de Mézerai dit que le roi se trouva mal ; avec celle que Brantôme n’a pas voulu nommer, et que ce prince aima jusqu’à sa mort. Quand donc on fait réflexion qu’il mourut avant l’âge de vingt-quatre ans accomplis, et après une longue maladie, et que l’historien lui donne deux enfans naturels [3], on ne voit pas sur quoi peut être fondée l’aversion que M. de Mézerai lui prête. Que voudrait-il qu’on eût fait de plus ? Il lui en faudrait bien pour nommer débauche la vie des gens ! Mais il est vrai qu’au prix de l’horrible corruption qui était alors à la cour de France, on pourrait trouver dans Charles IX quelque sorte de modicité par cet endroit-là. Cet historien ne parle que d’un fils de Charles IX et de Marie Touchet, et remarque qu’il naquit en 1572, et qu’il fut premièrement grand prieur de France, puis comte d’Auvergne et de Lauraguais, et après duc d’Angoulême [4] et comte de Ponthieu. Le père Anselme ne s’accorde pas à cette chronologie, puisqu’il le fait naître [5] au château du Fayet, en Dauphiné, près de Montmélian, le 28 d’avril 1573. Je ne saurais encore bien éclaircir à mon lecteur ce qui en est, ni pourquoi la dame aurait été envoyée faire ses couches si loin de la cour et de sa patrie. Ce n’était pas son premier né ; le rang du père effaçait la honte, et rien ne l’engageait à se servir des mystères qu’il faut employer quelquefois lorsque les choses n’ayant pas été dans l’ordre un voyage paraît nécessaire pour dépayser les gens, et pour mettre bas la charge à l’insu du monde.

Si ce que Brantôme raconte sans le croire était véritable, on ne devrait point avoir trop bonne opinion des Mémoires de M. de Mézerai sur l’aversion qu’il attribue à ce prince. Aucuns ont voulu dire (c’est Bran-

  1. Brantôme, Discours sur Charles IX.
  2. Le Laboureur, Additions aux Mémoires de Castelnau, tom. II, rapporte une lettre où il est dit que Charles IX aimait fort la femme du sieur de la Tour. Voyez ci-dessous le pénultième alinéa de cette remarque.
  3. Le père Anselme, Histoire généalogique de France, pag. 146, ne dit pas s’ils furent tous deux d’une même mère ; mais Papyre Masson en marque deux de Marie Touchet.
  4. C’est de lui que sont descendus les derniers ducs d’Angoulême. Il mourut à Paris le 24 sept. 1650.
  5. Histoire généalogique, pag. 173.