Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T14.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
236
TOUCHET.

propres, à l’exemple de plusieurs de ses confrères. Le passage contient une action si particulière, qu’il mérite d’être rapporté tout entier. « [1] Ce fut environ ce temps [2] que François de Balzac, seigneur d’Entragues-Marcouste [3], gouverneur d’Orléans, épousa en seconde noces Marie Touchet, fille d’un apothicaire de cette ville, non moins belle d’esprit que de corps, de qui le roi Charles IX avait eu un fils appelé depuis le comte d’Auvergne. On rapporte d’elle un fait bien étrange et hardi qu’elle fit un jour à un page de son mari, qui avait violé ; dans le cabinet d’un jardin, l’une de ses filles, toute jeune et d’excellente beauté, par une passion insensée d’amour. C’est qu’elle le poignarda sur-le-champ, ôtant la vie à celui qui avait ôté l’honneur à sa fille. » Je voudrais que ce bon feuillant, qui a ramassé tant de faits de toute nature, mais non pas sans être sujet à caution, nous eût appris d’où il a tiré celui-là ; car sur sa parole toute seule je ne conseillerais pas de le croire.

(E) Ce qu’elle dit, en considérant le portrait de la princesse... n’est pas indigne d’être su. ] Elle eut bonne envie de posséder le cœur du roi Charles au préjudice de l’épouse. Elle fut fort curieuse, dans le temps qu’on traitait le mariage du roi avec Elisabeth d’Autriche, de bien examiner le portrait de cette princesse, et l’ayant bien contemplé, elle ne dit autre chose sinon : Elle ne me fait point de peur ; inferant par là, à ce que dit Brantôme [4], qu’elle presumoit tant de soi et de sa beauté, que le roy ne s’en sauroit passer. Papyre Masson prétend que lorsqu’elle examina le portrait, et qu’elle dit là-dessus en riant : je n’ai pas peur de cette Allemande ; la reine était déjà arrivée [5] ; mais il n’y a nulle apparence que Marie Touchet eût tendu jusques alors à voir le portrait de la reine ; et ainsi le narré de Brantôme est plus vraisemblable par rapport à la circonstance du temps. Gabrielle d’Estrée vit bientôt le portrait de l’infante d’Espagne et celui de Marie de Médicis, lorsqu’on parlait de leur mariage avec Henri IV. On lui fait dire qu’elle ne craignait nullement la brune Espagnole, mais bien la Florentine [6] : nous tenons ce discours. d’un historien qui prétend l’avoir ouï. Il me souvient, dit-il [7], que le roi m’ayant donné à garder les deux premiers tableaux qu’il eut de ces deux princesses, il me permit de les montrer à la duchesse, et prendre garde à ce qu’elle dirait : son propos fut : Je n’ai aucune crainte de cette noire ; mais l’autre me mène jusqu’à la peur.

(F) Ceux qui avancent que Charles IX n’aima point les femmes n’y ont pas regardé de près. ] Les historiens qui ont parlé le plus librement de ses mauvaises qualités remarquent qu’il ne fut pas fort déréglé à l’égard des femmes. On avait tâché de le jeter dans cette débauche et dans celle du vin ; mais une fois, s’étant aperçu que le vin lui avait troublé la raison jusqu’à lui faire commettre des violences, il s’en abstint tout le reste de sa vie ; et pour les femmes, s’étant mal trouvé de quelqu’une de celles de sa mère, il les prit en aversion, et ne s’y attacha guère. C’est ainsi que M. de Mézerai s’exprime [8], sans s’arrêter aux règles du grammairien sophiste qui critiqua dans le fameux sonnet de Voiture un arrangement d’expressions où la dernière disait beaucoup moins que la première :

Je bénis mon martyre, et, content de mourir,
Je n’ose murmurer contre la tyrannie [9].


Brantôme témoigne que ce prince ne paraissait pas au commencement fort sensible pour le sexe, et qu’il fallut que les reproches des dames mêmes l’animassent. « Je me souviens, dit-

  1. Pierre de Saint-Romuald, Abrégé du IIIe. tome du Trésor chronol. et histor., pag. m. 348, à l’année 1572.
  2. C’est-à-dire le massacre de la Saint-Barthélemi,
  3. Il fallait dire Balzac, seigneur d’Entragues et de Marcoussis.
  4. Brantôme, Discours sur Charles IX.
  5. Inspectâ Isabellæ reginæ, quæ recens in Galliam venerat, picturâ, risisse dicitur, addito verbo, Nihil me terret Germana.
  6. Dupleix, Histoire de Henri IV, pag. 262.
  7. D’Aubigné, tom. III, pag. 637.
  8. Mézerai, Abrégé ehronolog., tom. V, pag. 183.
  9. Voyez les pièces qui sont à la fin du Socrate chrétien de Balzac.