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TOUCHET.

maîtresse [1], qui était logée à la rue de la Coutellerie, où j’avais une entrée secrète par laquelle j’entrais au troisième étage du logis, que sa mère n’avait point loué ; et elle, par un degré dérobé de la garde-robe, me venait trouver lorsque sa mère était endormie. » Peu après il nous apprend une chose d’où l’on pourrait inférer que Henri IV n’eût pas fait conscience de jouir des deux sœurs, c’est qu’il avait ce prince pour rival. Il nous apprend une autre chose qui confirme la dernière remarque que j’ai faite touchant Marie Touchet. « Pour notre malheur, dit-il, ils en avertirent la mère, laquelle y prenant garde de plus près, un matin, voulant cracher, et levant le rideau de son lit, elle vit celui de sa fille découvert, et qu’elle n’y était pas. Elle se leva tout doucement, et vint dans sa garde-robe, où elle trouva la porte de cet escalier dérobé, qu’elle pensait qui fût condamnée, ouverte, ce qui la fit crier, et sa fille, à sa voix, à se lever en diligence et venir à elle. Moi cependant je fermai la porte, et m’en allai bien en peine de ce qui serait arrivé de toute cette affaire, qui fut que sa mère la battit, qu’elle fit rompre la porte pour entrer en cette chambre du troisième étage où nous étions la nuit, et fut bien étonnée de la voir meublée de beaux meubles de Zamet, avec des plaques et flambeaux d’argent. Alors tout notre commerce fut rompu ; mais je me raccommodai avec la mère par le moyen d’une demoiselle nommée d’Azi [2], chez laquelle je la vis, et lui demandai tant de pardons, avec assurance que nous n’avions point passé plus outre que le baiser, qu’elle feignit de le croire [3]. » Il ne fut pas privé long-temps du commerce de la fille ; car, au bout de quelques mois, madame d’Entragues étant allée à la cour, il dit [4] qu’il y passa bien son temps avec sa fille et avec d’autres aussi. La demoiselle devint grosse quatre ans après, et ayant été chassée par sa mère de son logis, fit prier son galant de lui donner une promesse de mariage, pour apaiser sa mère, et lui offrit toutes des contre-promesses qu’il désirerait d’elle, et que ce qu’elle en désirait était pour pouvoir accoucher en paix, et avec son aide [5]. Elle obtint ce qu’elle désirait, et ne manqua pas à fournir la contre-promesse, tant elle était de bonne composition.

On fait un conte que je m’en vais rapporter. Ce maréchal se promenant en carrosse avec la reine, un jour qu’il y avait un grand nombre de carrosses au cours, il arriva que celui de la d’Entragues fut obligé de s’arrêter quelque temps proche de celui de la reine, à cause de la foule. La reine regardant le maréchal, Voilà, lui dit-elle, madame de Bassompierre. Ce n’est que son nom de guerre, répondit-il assez haut pour être entendu de son ancienne maîtresse. Vous êtes un sot, Bassompierre, dit celle-ci. Il n’a pas tenu à vous, madame, reprit-il ; et là-dessus les carrosses recommencèrent à marcher. Comme ce maréchal avait une infinité de galanteries, je ne sais pas si cet autre conte de M. Ménage regarde la même maîtresse : « Le carrosse de M. le maréchal de Bassompierre s’étant accroché avec celui d’une dame qu’il avait aimée, et avec laquelle il avait dépensé beaucoup de bien, elle lui dit : Te voilà donc, maréchal dont j’ai tiré tant de plumes. Il est vrai, madame, dit le maréchal ; mais ce n’est que de la queue et cela ne m’empêche pas de voler [6]. »

(D) La raison pourquoi elle poignarda un page... est assez curieuse. ] Je répète ici sans y rien changer ce que je dis dans le projet de ce Dictionnaire. Don Pierre de Saint-Romuald donne dans la même chronologie que M. de Mézerai, à l’égard du mariage de Marie Touchet [7] ; car il le place sous l’an 1572. Son imprimeur a été un vrai bourreau de noms

  1. Marie de Balzac, laquelle il ne nomme que d’Entragues, dont il eut l’évêque de Xaintes, décédé l’an 1676.
  2. C’est peut-être la même qu’il nomme d’Achy, pag. 173 : les noms propres étant fort brouillés dans ce Journal.
  3. Journal de Bassompierre, tom. I, p. 157, à l’ann. 1606.
  4. Là même, pag. 165.
  5. Là même, tom. I, p. 261.
  6. Suite du Ménagiana, pag. 374, édition de Hollande.
  7. Voyez la remarque (F), vers la fin.