Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T14.djvu/246

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
234
TOUCHET.

duc d’Orléans, dans le libelle intitulé : l’Édit du Roi déguisé [1], fait l’an 1586, contre certains petits galans, dits Bourbons, et aucuns malotrus et ivrognes d’Allemagne.

(C) L’une fut concubine de Henri IV, et l’autre du maréchal de Bassompierre. ]. Si le fait que je rapporte dans la remarque (D) est véritable, Henri IV y a pu être attrapé ; car il se pourrait bien faire que la jeune fille violée ne fût autre que la demoiselle d’Entragues, qui fit tant valoir à ce prince le présent de sa virginité. Le récit de ses ruses et de ses cajoleries se voit dans les Mémoires de Sully et dans M. de Péréfixe. Les cent mille écus que le roi lui fit donner ne furent pas une pluie d’or capable de l’introduire au giron, et de terminer les chicaneries qu’elle faisait du terrain. Il en fallut enfin venir à la promesse de mariage : pour lever les traverses du père et de la mère, que la fille faisait intervenir à propos, et qu’elle déclara insurmontables si l’on n’amenait ces bonnes gens à un point si délicat, en mettant par cette promesse leur conscience à couvert envers Dieu, et son honneur envers le monde. La belle sut si bien représenter à son amant [2] qu’il ne devait point faire de difficulté de guérir leur fantaisie, puisqu’il ne s’agissait que de lui donner un petit morceau de papier [3] en échange de la chose la plus précieuse qu’elle eût au monde, qu’il s’engagea par écrit à l’épouser dans un an, pourvu que dans ce temps-là elle lui fît un enfant mâle. S’il fallait que l’aventure dont parle Saint-Romuald regardât cette demoiselle, combien de frais et de poursuites afin, qu’un grand roi pût jouir des restes d’un page !

M. de Rosni, qui était l’homme du monde le plus attaché aux véritables intérêts de ce prince, ne se contenta pas de déchirer la promesse de mariage, lorsqu’elle lui fut montrée par le roi, il tâcha encore de le guérir, en lui donnant plus de soupçons de l’honnêteté de la fille qu’il ne paraissait en avoir. Il est vrai que ce monarque avait dit à ce favori qu’il travaillait à la conquête d’un pucelage que peut-être il n’y trouverait pas ; mais l’autre lui parle d’une manière beaucoup plus scabreuse. « S’il vous souvient bien, lui dit-il, de ce que vous m’avez autrefois dit de cette fille et de son frère, du temps de madame la duchesse, des langages que vous en teniez tout haut, et des commandemens que vous me fîtes faire à tout ce bagage (car ainsi appeliez-vous lors la maison et famille de monsieur et madame d’Entragues) de sortir de Paris ; vous seriez un peu plus en doute que je ne vous vois de trouver la pie au nid. » Voyez les Mémoires de Sully, à la page 248 et 253 du IIe. tome de l’édition de Hollande, 1552, in-12.

Quoi qu’il en soit, nous apprenons de tout ceci que cette dame fut plus sensible à l’honneur par rapport à ses filles, qu’elle ne l’avait été par rapport à elle-même. La punition du page [4], si elle est vraie ; en est une preuve ; car apparemment on ne se serait pas porté à un homicide, si l’on eût été autrefois traité de la sorte. Nous voyons de plus combien cette mère fit la consciencieuse, et combien elle se précautionna du côté du monde quand il fut question de sa fille, ce qu’elle n’avait point fait pour elle-même envers Charles IX. Mais on peut dire que ses soins ne lui réussirent pas, et que, comme elle avait chassé de race par rapport à sa grand’mère [5], ses filles le firent aussi à son égard. L’une d’elles [6] procréa lignée naturelle à Henri IV, et l’autre en procréa au maréchal de Bassompierre. Il faut l’entendre lui-même sur ce chapitre. « Je m’en revins à Paris, dit-il [7], voir ma

  1. Par allusion au duc de Guise.
  2. Péréfixe, Vie de Henri IV, sous l’an 1600, en quoi il se trompe d’un an ; car ce fut l’été 1599 que le roi jouit d’elle. Voyez le Journal de Bassompierre, tom. I, pag. 58.
  3. Il faut savoir qu’elle promettait au roi de ne se servir jamais de cette promesse, n’y ayant point d’ailleurs d’official suffisant pour citer un tel monarque, et qu’elle serait avec toutes les conditions qu’elle savait bien être par lui désirées. Mémoires de Sully, tom. II, pag. 349 et 248, édition de Hollande, 1752, in-12.
  4. Voyez la remarque (D).
  5. Nous avons dit ci-dessus, remarque (A), que la mère de Marie Touchet était bâtarde.
  6. Catherine-Henriette de Balzac, marquise de Verneuil, morte en 1633, en sa cinquante-quatrième année, selon le père Anselme ; ce qui montrerait que M. de Péréfixe lui devait donner plus de dix-huit ans en 1600.
  7. Journal de sa Vie, tom. I, pag. 152.