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TOUCHET.

de la ville de Parthai, en Beauce. Et tout ce qu’on pouvait dire contre la naissance de cette dame, c’est qu’elle avait eu pour mère Marie Mathy, fille naturelle d’Orable Mathy, Flamand de nation, médecin du roi, qui, pour parvenir à cette alliance, donna par le contrat de mariage, deux mille écus, qui étaient une somme alors considérable. »

On tombe pour l’ordinaire dans deux sortes d’excès à l’égard de ceux que la Providence pousse fort au delà de leur condition. Les uns par des généalogies fabuleuses leur procurent des ancêtres de la première qualité ; les autres les rabaissent à un état beaucoup plus vil que le véritable, soit nous procurer à la médisance et à l’envie quelque dédommagement, soit pour faire trouver plus merveilleux, et plus propre aux exclamations, l’agrandissement de leur fortune. L’historien des Amours du Palais-Royal n’a-t-il pas dégradé de noblesse mademoiselle de la Valière, pour n’en faire qu’une petite bourgeoise de Tours ? Cependant [1] elle était d’une famille alliée de celle de Beauvau-le-Rivau, l’une des plus nobles de la province ; et il y a cent ans plus ou moins qu’un seigneur de la Valière se maria avec une demoiselle qui avait été fille d’honneur de la reine Louise, femme de Henri III, ce qui, sans doute, ne serait pas arrivé s’il n’eût pas été gentilhomme. Nous fesons voir en son lieu qu’on a usé de pareilles médisances envers Albert de Gondi, premier duc de Retz, et envers le cardinal de Pellevé, le connétable de Luynes, le cardinal Mazarin, etc.

(B) Elle ne l’épousa qu’après la mort de Charles IX. ] Mézerai a fort bien su que le père de Marie Touchet était lieutenant particulier au présidial d’Orléans ; mais je doute un peu de ce qu’il ajoute, que Charles IX maria cette maîtresse à François Balzac d’Entragues, gouverneur d’Orléans [2]. Je passe sous silence que ce François de Balzac ne fut gouverneur d’Orléans qu’ensuite de plusieurs intrigues qui firent perdre ce gouvernement au chancelier de Chiverni, l’an 1588, et qu’avant cela il n’en avait que la lieutenance [3] ; je dis seulement que son mariage avec Marie Touchet me paraît postérieur à la mort de Charles IX ; et c’est tout ce que j’en puis dire aujourd’hui, n’étant pas en lieu à pouvoir consulter les titres de la maison, et n’ayant pu rassembler encore les livres me pourraient donner une entière certitude. Mais considérant d’un côté ce que dit Papyre Masson, que le roi Charles, malade à la mort, n’osant pas recommander lui-même sa maîtresse à la reine sa mère, la lui fit recommander par l’entremise de Charles de Gondi [4] ; et de l’autre ce que dit M. le Laboureur [5], qu’il ne se faut pas étonner que Marie Touchet ait trouvé un si bon parti dans le vol qu’elle avait pris à la cour, où elle tint aussi-bien son rang qu’aucune des dames de la première condition [6] : considérant, dis-je ; ces deux choses, je ne saurais croire qu’elle ait épousé le seigneur d’Entragues du vivant de Charles IX ; car, en ce cas-là, il n’eût pas été nécessaire que ce prince la fit recommander à Catherine de Médicis (un tel mari aurait été un assez bon protecteur), et l’on ne comprendrait pas pourquoi M. le Laboureur propose tant de raisons de ne se pas étonner du mariage de François de Balzac avec Marie Touchet, sans rien dire de la principale, qui aurait été les grands biens qu’un roi vivant aurait faits à l’époux de sa maîtresse. Cet auteur remarque que c’était une femme d’un esprit aussi incomparable que sa beauté, et que l’anagramme qu’on fit de son nom, Marie Touchet, je charme tout, était fort juste. Il dit aussi que M. d’Entragues en devint si amoureux, qu’on l’appela par dérision d’Entragues Touchet,

  1. M. de Marolles, Abbé de Villeloin, Catal. de ces Écrits, pag. 8.
  2. Mèzerai, Abrégé chronolog., tom. V, pag. 184.
  3. De Thou, Hist., lib. XCII.
  4. Brantôme rapporte la chose un peu autrement : Estant à la mort, dit-il, il commanda à M. de la Tour de lui faire (à sa maîtresse) ses recommandations, et n’en osa jamais parler à la royne, sa mère.
  5. Le Laboureur, Additions aux Mémoires de Castelnau, tom. II, pag. 656.
  6. Il avait dit dans la page 70 qu’elle ne le céda point en adresse ni en ambition aux duchesses d’Étampes et de Valentinois, et qu’elle tint si bien son rang, que toute la gloire et les artifices de la reine Catherine ne défaisaient point sa contenance.