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TORTELLIUS. TOUCHET.

de matière pour la grossir, et ce sont ordinairement de lourdes bévues. En voici un exemple. Un père de l’oratoire rapporte qu’à certains jours de l’année les Turcs maudissent les chrétiens solennellement. Ils lisent dans leurs mosquées une prophétie qui porte que la monarchie ottomane sera détruite par les Francs après qu’elle aura duré dix siècles [1]. Pendant cette lecture, les femmes hurlent, et de leurs cheveux épars elles balaient les autels. Ils s’imaginent que cette cérémonie détournera l’infortune qui les menace. Ce père de l’oratoire ne dit point cela de son chef, mais sur la foi d’un de ses amis. Vias Massiliensis poëta (si mihi creditur) valdè bonus, dit-il [2], mihi olim cùm Massiliæ rhetoricen profiterer multùm familiaris, in suis ad Sylvas [3] notis, morem refert Turcarum cùm illi christianos, quos perditè oderunt, ultrò statis diebus detestantur. Habent, inquit ille, Turcæ inter suos fastos prophetiam, per id tantùm tempus, M. scilicet annos, Ottomanorum permansurum, mox subvertendum à Francis. Legitur illa quotannis suis in mosquetis, ut illius ominis terrore ultro christianis adversentur. Lugent interim ululantes fœminæ, sparsisque comis infanda verrunt altaria : sicque huic malo fato procurare credunt, dum tam funesto vaticinio perterrentur.

  1. Ce n’est point de la monarchie ottomane, mais de la religion mahométane, que l’on fait courir cette prédiction. Si elle regardait les Ottomans. ils se presseraient un peu trop ; leur monarchie serait bien loin de sa destruction.
  2. Petrus Berthaldus ; libro singulari de Arâ, cap XV, pag. 181, 182, edit. Nannetensis, 1636.
  3. Ce sont les Silves de Stace, sur lesquelles le sieur Vias, poëte provençal, loué par Gassendi, in Vitâ Peireskii, a fait des notes.

TORTELLIUS (Jean). Cherchez Arétin (Jean), tome II, page 290.

TOUCHET (Marie), maîtresse de Charles IX, roi de France, était d’Orléans. Il n’est pas vrai, comme tant d’auteurs l’assurent, qu’elle fût fille d’un apothicaire (A). Elle donna des enfans à Charles IX [a], et se maria ensuite avec un homme de qualité. Je crois qu’elle ne l’épousa qu’après la mort de ce monarque (B). Elle eut deux filles légitimes qui marchèrent sur ses traces : l’une fut concubine de Henri IV, et l’autre du maréchal de Bassompierre (C). La raison pourquoi elle poignarda un page, à ce que disent quelques auteurs, est assez curieuse (D). Ce qu’elle dit, en considérant le portrait de la princesse que Charles IX devait épouser, n’est pas indigne d’être su (E). Je dirai par occasion que ceux qui avancent que ce prince n’aima point les femmes n’y ont pas regardé de près (F). On ne doit pas trouver. étrange que je fasse des articles pour des femmes comme celle-ci (G).

  1. Voyez la rem. (F).

(A) Il n’est pas vrai... qu’elle fût fille d’un apothicaire. ] Brantôme lui donne cette origine : je le citerai ci-dessous. Papyre Masson semble la faire d’une naissance encore plus basse ; car on dirait qu’il la fait fille d’un parfumeur : [1] Amavit Mariam Tochetiam Aurelianensis unguentarit [2] filiam. D’autres disent qu’elle était fille d’un notaire ; mais il est certain qu’elle était de meilleure condition que cela, comme M. le Laboureur l’a montré. « Jean Touchet, son père, dit-il [3], prenait qualité de sieur de Beauvais et du Quillart. conseiller du roi, et lieutenant particulier au bailliage et siége présidial d’Orléans. Il était fils de Pierre Touchet, bourgeois d’Orléans, et petit-fils de Jean Touchet, avocat et conseiller à Orléans, l’an 1492, qui avait eu pour père Regnaut Touchet, marchand

  1. Papyr. Masso, in Vitâ Caroli IX.
  2. Peut-être faut-il traduire ce mot par apothiquaire, comme l’a traduit le Laboureur.
  3. Le Laboureur, Additions aux Mémoires de Castelnau, tom. II, pag. 656.