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SADUCÉENS

du XVIe livre des Antiquités judaïques, croit qu’Hérode fut poussé par les conseils des saducéens et par leur doctrine impie sur la nécessité fatale de toutes choses, à exercer la barbarie qu’il commit lorsqu’il fit étrangler ses fils, et lapider trois cents capitaines. Voilà ce que M. Willemer débite, et il conclut qu’on a donc dit que les mœurs des saducéens étaient très-mauvaises ; que c’étaient des pourceaux d’Épicure, et des hérétiques entièrement pernicieux. Ex vero igitur dictum est, sadducæos fuisse moribus pessimis, et Epicuri de grege porcos : ita quâ doctrinam perniciosos omninò hæreticos[1]. Mais il est certain qu’il tire mal cette conséquence ; car, en premier lieu, les faits qui lui servent de principe ne se trouvent point en Josèphe, qu’il nous donne pour témoin ; et en second lieu, quand ces faits-là seraient véritables, ils ne prouveraient point que cette secte se vautrât dans les plaisirs sensuels, comme le font ceux qu’on nomme Epicuri de grege porcos. Cela prouverait tout au plus qu’elle abusait de son crédit auprès des puissances pour opprimer la faction des pharisiens, dont elle avait tout à craindre, puisqu’elle la voyait animée d’un zèle superstitieux, et appuyée de la faveur de la populace. J’avoue que cette conduite est injuste ; mais on la trouve dans tous les partis, ou dans toutes les factions d’état et de religion. Celles qui enseignent le dogme du paradis et de l’enfer n’ont pas été moins actives à se servir des conjonctures favorables pour accabler leurs rivales. Les conseils de rigueur et de cruauté leur sont familiers : ainsi l’on ne verrait rien d’exquis, ni nul caractère de distinction dans les procédures du saducéisme, quand même les faits que l’écrivain allemand rapporte seraient véritables. Que sera-ce donc si l’on lui montre qu’ils sont faux ou incertains ? La chose ne sera pas malaisée.

Il est sûr que l’historien des Juifs ne parle pas plus des saducéens que du grand Mogol, dans le chapitre où il narre comment Hérode fit mourir ses fils et les trois cents capitaines. Il se serait rendu le plus ridicule de tous les hommes, s’il avait dit que la doctrine de ces gens-là touchant la fatalité des événemens poussa Hérode à ces cruautés[2] ; car il était notoire qu’ils rejetaient pleinement le dogme de la prédestination, et il n’a jamais parlé d’eux sans observer qu’ils faisaient dépendre de notre franc arbitre notre destinée. Je ne nie point que Josippe ne raconte que les saducéens furent cause du soulèvement du peuple juif contre Alexandre Jannée, et de la cruauté de ce prince envers ce peuple, parce qu’ils lui conseillèrent de persécuter les pharisiens et les fauteurs des pharisiens[3] : mais le témoignage d’un tel auteur[4] est bien peu chose, et surtout quand nous le pouvons combattre par le silence d’un historien tel que Josèphe, qui ne s’est jamais montré tant soit peu partial en faveur des saducéens. Le rabbin Abraham de Salamanque est trop moderne pour donner du poids à des faits d’ailleurs incertains ; ainsi l’on n’est point obligé de croire sur sa parole ce qu’il affirme touchant les mauvaises mœurs de ces hérétiques[5]. Encore un coup, si leurs débauches et leurs mauvaises actions les eussent mis dans le décri, il ne paraît pas possible que Josèphe, qui a tant de fois parlé d’eux, eût supprimé constamment tout cet article, et que la seule chose qu’il a touchée de leurs mœurs fût si capable de persuader qu’ils ne vivaient pas sensuellement. Il les représente comme des personnes dont la conversation était rustique et sauvage, et qui ne s’humanisaient pas plus envers leurs amis qu’à l’égard des étrangers. Σαδ--

    non poterat novas, quas excitabant in republicâ turbas inter Hyrcanum et Aristobulum fratres. Quibus ò medio sublatis, favore Herodis M. quo potissimùm nitebantur ad turpia quævis facinora sunt abusi. Willemer., de Sadduc., pag. 45.

  1. Idem, ibidem, pag. 45.
  2. Ipse Herodes M. ad immanem sævitiam… pessimis sadducæorum consiliis ac impiâ doctrinâ de necessecitate omnium fatali impulsus creditur Josepho, lib. XVI. A. J., cap. XVII, pag. 465. Willemer., Diss. de Sadduc., pag. 44.
  3. Voyez la note marginale de Génebrard sur le chap. XXI du XIIIe livre de Josèphe, folio m. 464 verso.
  4. Voyez dans Vossius, de Hist. græc., lib. II, cap. VIII, pag. 197, combien il est méprisable.
  5. Sadducæi fuerunt improbi pessimique moribus præditi. R. Abraham Salmanticensis, apud Willemer., pag. 44.