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SARA.

Où serait cette foi tant célébrée par rapport à l’annonciation de la naissance d’Isaac ? Est-il si étrange aujourd’hui qu’une femme conçoive à quarante ans ? Rajustons leur calcul : quatre-vingt-dix ans sont à cent trente à peu près comme cinquante-six à quatre-vingts. C’est donc avec nos beautés de cinquante-six ans qu’il faut comparer Sara. Or j’avoue qu’encore qu’il soit très-rare qu’une femme de cinquante-six ans soit jugée digne d’être enlevée pour sa beauté, et encore moins d’être destinée au lit d’un souverain, comme un morceau friand et royal, il s’en trouve quelques-unes qui ont encore de beaux restes à cet âge. Voyez ce que j’ai rapporté ailleurs de Brantôme, concernant Jeanne d’Aragon et la duchesse de Valentinois. Ainsi, sans recourir aux miracles, qu’il faut ménager le plus qu’on peut pour les grands besoins, nous pouvons dire que la bonne constitution de Sara, et l’exemption des couches et des fonctions nourrice, ont pu la conserver belle femme jusqu’à quatre-vingt-dix ans. Procope pense que quand elle fut rendue habile à concevoir elle recouvra la beauté qu’elle avait perdue[1] et que Dieu, par une faveur spéciale, lui fit tout à la fois ces deux présens. À lui Procope permis.

(F) On dit.... qu’elle avait renoncé à tout commerce de mariage depuis qu’elle s’était vue stérile. ] Citons Pérérius : Deindè id accidit Saræ ob summam ejus castitatem et continentiam, quippè quæ statim ut sensit se sterilem et invalidam ad generandum abstinuit à copulâ carnali ; ut suprà ostendimus super illis verbis quæ sunt in capite XVIII. Postquàm consenui et dominus meus vetulus est, voluptati operam dabo[2] ? Il est bon de voir sur quoi il fonde le fait. Il se sert de ces paroles de Sara : Postquàm consenui et dominus meus vetulus est, voluptati operam dabo[3] ? c’est-à-dire, selon la version de Genève, Estant vieille aurai-je plaisir ? davantage monseigneur est vieil. Ce sont deux difficultés que Sara se fit après avoir ouï la promesse qu’on faisait à Abraham, que sa femme accoucherait l’année suivante. Il faudrait donc, dit-elle, que, nonobstant mon grand âge, je requisse les caresses de mon mari, c’est la première difficulté ; mais mon mari n’est-il pas trop vieux pour cela ? c’est la seconde. De sorte que, selon Pérérius, elle eût employé à peu près la même objection que la Sainte Vierge : Comment se fera ceci, vu que je ne connais point d’homme[4] ? Je ne crois pas qu’on puisse raisonnablement nier à cet auteur que les paroles de Sara ne signifient qu’alors elle et son mari gardaient une parfaite continence ; mais tout le reste n’est que conjecture : savoir, qu’il y avait déjà quatorze ans qu’ils étaient convenus de cette abstinence mutuelle ; c’est-à-dire depuis qu’Agar était devenue la concubine d’Abraham. Mais supposons que cela soit : il en faudra inférer que Sara mit une fin aux joies du mariage quand elle fut parvenue à l’âge soixante-quinze ans. Or à quoi songeait Pérérius de tirer de là une des raisons pourquoi la beauté de cette dame s’était conservée jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans ? Intemperantia Veneris citò mulierem inveterat et vehementer deformat ac turpat[5] ; c’est-à-dire : L’usage immodéré du plaisir vénérien fait bientôt vieillir les femmes, et les enlaidit étrangement. Soit. J’en laisse la discussion aux médecins. Mais s’ensuit-il de là qu’une abstinence totale de cet exercice ait un effet tout contraire à l’égard du sexe ? je veux dire qu’elle recule la vieillesse, et qu’elle conserve la beauté. Il n’y a point de logique qui reconnaisse aucune force dans cette espèce de conséquences, généralement parlant, vu le grand nombre de choses dont les deux extrémités sont mauvaises et pernicieuses, tant pour le corps que pour l’âme. En particulier, la conséquence dont il est ici question est fortement combattue par la médecine[6]. Mais

  1. Addit Procopius divinitùs cum fœcunditate Sara restauratam fuisse pristinam pulchritudinem. Cornel. à Lapide, in Genes., pag. 149.
  2. Pererius, in Genes., cap. XX, vs. 2, Torniellus, et Cornélius à Lapidé, sont de ce sentiment.
  3. Genèse, XVIII, 12.
  4. Saint Luc, chap. I, vs. 34. Zacharie, au verset 18 du même chapitre, allègue une difficulté semblable à celle de Sara.
  5. Perer., in Genes., cap. XX, disput. I.
  6. Voyez Gaspar à Reïes, Elysio jucund.,