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SARA.

quant à celui-ci, à une sorte de maladie. Mais apparemment on a jugé de l’un par l’autre ; et comme il est très-probable que le châtiment personnel d’Abimélec tomba sur les parties destinées à la génération, vu que ce fut là que sa femme et ses servantes furent affligées, on a cru que la chose se passa de même à l’égard de Pharaon [1]. Les rabbins[2] ont dit qu’il fut tourmenté d’une gonorrhée si violente, qu’il ne prenait pas même plaisir à songer aux femmes, tant s’en faut qu’il fût en état d’en jouir. Ils ajoutent que Sara avait un ange gardien qui frappait de telle sorte tous ceux qu’elle voulait qu’il frappât ; qu’ils n’avaient ni l’envie ni la force de s’approcher d’elle ; et que ce fut par le ministère de cet ange qu’elle fut préservée des persécutions lascives de Pharaon. Philon[3] se contente de dire que ce prince sentait des douleurs et des chagrins si insupportables, qu’il n’avait garde de songer aux plaisirs d’amour ; il ne songeait qu’à son mal et au moyen de s’en délivrer. Toute sa cour fut affligée du même fléau ; et cela parce que les courtisans avaient contribué ou applaudi à l’enlèvement de Sara. Eupolémon[4] dit que la peste gagna la maison de Pharaon, et que les devins ayant répondu que l’enlèvement d’une femme était la cause de ce mal, Pharaon rendit Sara à son mari sans l’avoir touchée. Josèphe[5] ajoute les séditions à la peste. Un moderne[6] qui lui en veut le critique sur cela assez vivement. La raison sur laquelle il se fonde est qu’une sédition populaire n’empêche pas un roi de se divertir avec une femme, et n’a point, non plus que la peste, une relation particulière avec le péché de Pharaon. Cet auteur veut donc que le châtiment de ce ravisseur ait affligé les parties qui auraient été l’instrument de sa débauche, et il confirme sa pensée par cette maxime du sage[7] : Per quæ peccat quis, per eadem et torquetur. Quoi qu’il en soit, on ne peut nier que Sara n’ait demeuré quelque-temps dans la maison de ses ravisseurs : cela est du moins indubitable quant au dernier enlèvement, puisqu’on eut le loisir de s’apercevoir qu’à cause d’elle il était tombé une clôture de matrice si générale chez le roi Abimélec, qu’il ne s’y parlait plus d’accouchement. De là naît cette petite difficulté : ce prince rendit Sara tout aussitôt qu’il eut été averti en songe qu’elle était mariée à Abraham ; il m’en fut donc averti qu’après l’avoir retenue quelque temps dans sa maison. Or qu’en voulait-il faire, puisque jusqu’alors il l’avait laissée en repos ? Était-ce pour cela qu’il l’avait prise ? Ceux qui font ces objections ignorent la mode des princes orientaux. Ils ont plusieurs femmes, et on leur en envoie d’autres de temps en temps ; mais il ne faut pas croire qu’ils les caressent à tour de rôle : il y en a dont le tour ne vient jamais, encore qu’elles soient très-belles. Abimélec se contenta de l’acquisition de Sara et de savoir qu’il en jouirait quand il voudrait ; mais Dieu y pourvut avant que ce prince eût choisi son heure. Disons la même chose de Pharaon. Je ne pense pas qu’il fût un assez puissant monarque pour observer les cérémonies qui se pratiquaient à la cour de Perse, où une femme qui plaisait au roi était un an à se bien laver et parfumer, avant que de lui être livrée[8]. Ne nous arrêtons donc pas à la conjecture de saint Jérôme [9], qui explique par ce moyen pourquoi Sara fut quelque temps à ne rien faire chez Pharaon : mais croyons pourtant de ce dernier roi ce nous disions tout à l’heure de celui des Philistins ; ou bien disons qu’ils furent frappés de maladie dès le premier jour de l’enlèvement. Josèphe témoigne qu’Abimélec fut si malade, que les médecins désespéraient de sa guérison. D’autres spécifient la nature de son mal : ils disent qu’il souffrait de si violentes douleurs aux parties qu’on ne nomme pas, que quand il l’aurait voulu il ne lui aurait pas été possible de remplir la loi du congrès [10]. Au reste saint Chrysostome

  1. Voyez Pererius, in Genes., cap. XII, vs. 17.
  2. Apud Lyranum, citante Saliano, p. 413.
  3. In lib. de Abrah.
  4. Apud Eusebium, Præp., lib. IX, cap. IV.
  5. Lib. I, cap. VIII.
  6. Salian., tom. I, pag. 413.
  7. Cap. IX, vs. 17.
  8. Esther, chap. II.
  9. Indè Tradit. hebraïc., in Genes, Vide Pererium, in cap. XII, vs. 19.
  10. Tradunt quidam eum in veretro ita esse