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SABELLICUS.

Ne se fiant pas à son bâtard pour sa sépulture, il fit lui-même graver son épitaphe sur la pierre de son tombeau. C’est une inscription qui n’est pas assez modeste [a] (D). Il avait été bibliothécaire du cardinal Bessarion [b] [* 1]. Ses yeux avaient la même vertu que ceux de Tibère [c] ; car en s’éveillant la nuit il voyait distinctement ses livres et toute sa chambre pendant quelque temps [d]. On imprima toutes ses œuvres à Bâle, l’an 1560 (E), en quatre volumes in folio. Il témoigna, en mourant, que comme auteur il avoit la même tendresse que les pères, qui sentent plus d’amitié pour les plus infirmes de leurs enfans que pour les mieux faits ; car il recommanda l’impression d’un manuscrit qui n’étoit capable que de lui faire du déshonneur. Égnatius, son collègue, le fit imprimer, et on l’en blâma (F). Vous trouverez un éloge magnifique de Sabellicus dans Jacques Philippe de Bergame, son contemporain [e]. M. Moréri a fait quelques fautes (G).

  1. * Leduchat remarque que l’expression de Fréher est impropre. Bessarion étant mort long-temps avant que Sabellicus vînt à Venise, ce dernier ne put être son bibliothécaire. Mais il fut le premier chargé de la bibliothéque de Saint-Marc, que le cardinal Bessarion avait donnée à la république de Venise.
  1. Tiré de Paul Jove, in Elog. Viror. doctor, cap. XLVIII, pag. 114, 115.
  2. Freherus, in Theatro, pag. 1434.
  3. Sueton., in Tiberio, cap. LXVIII.
  4. Piérius Valérianus, in Hieroglyph. apud Freherum in Theatro, pag. 1323, assure qu’il le lui avait ouï dire.
  5. Jacob. Philippus Bergamas, in Supplemento Chronicorum, pag. 335, 436, edit, Venetæ, 1506, apud Leonard. Nicotemum, Addizioni alla Biblioteca napoletana, pag. 165.

(A) Il s’acquitta mieux du dernier que du premier ; car son ouvrage historique fut rempli de flatteries et de mensonges. ] Il était payé pour être sincère et exact à l’égard de ses écoliers ; mais non pas pour l’être à l’égard des narrations : de là vint qu’il remplit mieux son devoir en qualité de régent qu’en qualité d’historiographe. Nec ibi diù mansit, evocante senatu veneto, eâ conditione, ut civitatis res gestas à fine Justiniani conscriberet, et trecentis aureis in gymnasio profiteretur. In hoc munere perutilem juventuti operam præstitit, quùm in altero adulatione parùm sobriâ rerum veritatem adumbrâsse videretur [1]. Scaliger le père l’accuse d’avoir avoué que l’argent des Vénitiens était la source des lumières historiques qui le dirigeaient ou à publier ou à supprimer les choses. C’est ainsi que je paraphrase un peu librement ces cinq vers latins :

Venalis item penna Sabellii latronis,
Qui dat, adimitque, ut libitum, cuique quod vult ;
Falsa qui rogatus, undènam tot esset ausus ?
Monstrans Venetum perditus aureum nomisma,
Te, inquit, quoque lux hæc faceret loqui, si haberes [2].

(B) Son Histoire universelle n’est pas fort estimée. ] Paul Jove dit que c’est un ouvrage où les matières sont si pressées qu’elles n’y paraissent que comme des points. C’est le défaut ordinaire de ceux qui s’engagent à renfermer l’histoire de tout le monde dans un ou dans deux volumes. Ils étranglent tous les faits, ils ne développent rien, tout devient obscur sous leur plume. Lisez ces paroles de Paul Jove : Sed in Enneadibus omnium temporum ab orbe condito memoriam complexus, uti necesse fuit, ingenti operis instituto festinanter indulgenti, res illustres præclarâ cognitione dignissimas perobscurâ brevitate adeò vehementer offuscavit, ut excitatam uberrimo titulo legentium cupiditatem passìm eluserit, quùm omnia in acervum angustissimè coarctata, nequaquàm certâ effigie, sed exiguis tantùm punctis, et lineis annotata designentur [3].

  1. Paulus Jovius, in Elog., cap. XLVIII, pag. 114, 115.
  2. Jul. Cæsar Scaliger, de Regnor. Eversionibus, pag. 329, part. II Poëmat., edit. 1591.
  3. Jovius, Elog., chap. XLVIII, pag. 115.