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RONSARD.

ler d’un langage profane, les personnes séculières prenaient la hardiesse d’en faire autant, ce qui apportait un grand préjudice à la religion. J’en connois encore assez qui ne sont pas dans les charges de l’église, mais qui désirent y parvenir, quoiqu’ils n’aient autre vertu que de savoir écrire des choses pleines d’impiété et d’impudicité. Ce sont de nos mouches de cour qui bourdonnent dans les palais des princes, et les vont importuner incessamment parce que l’on croit ici que les récompenses les plus convenables que l’on puisse donner à des poëtes, ce sont des bénéfices. Abominable coutume ! de donner le bien de l’église à des gens qui ne seraient pas récompensés, s’ils n’avaient servi de maquereaux à leur maître, comme l’on voit dans leurs yeux amoureux qui sont faits pour les passions déréglées des princes et des rois. Il est vrai que Saint-Gelais a été évêque, que Desportes a été abbé, et que Ronsard a eu quelque bénéfice [1], et qu’il priait même le roi de faire sa lyre crossée, comme si la vraie récompense de ses diverses poésies eût un évêché, qui ne se doit donner qu’à un homme dont les paroles et les œuvres sont saintes ; mais ce ne sera pas moi néanmoins qui blâmerai tous ces gens-là pour ce sujet ; car je crois pieusement que leurs poésies libertines ont été faites en leur jeunesse, et que depuis ils en ont fait pénitence, se rendant dignes d’être ce qu’ils étaient. »

Ces dernières paroles s’accordent, à l’égard de notre poëte, avec ce que M. Baillet en a dit. « C’est rendre un bon office à la mémoire de Ronsard, d’avertir le public que dans ses dernières années il a condamné ce que la licence et l’amour du libertinage lui avaient fait écrire contre l’honnêteté et la pureté des mœurs. Il avait commencé même de réformer sa muse, et il s’était réduit à ne composer que des poésies chrétiennes le reste de ses jours. Non content de pourvoir à la sûreté de sa conscience pour l’avenir, il songeait encore à l’expiation du passé, par la suppression de plusieurs productions entières de sa jeunesse, et le retranchement de tous les endroits qu’il n’approuvait pas dans les pièces dont le fonds n’était pas entièrement mauvais. Mais on peut dire qu’il s’y comporta plutôt en père qui ne peut se dépouiller de la tendresse pour ses enfans, qu’en juge incorruptible [2]. » M. Ménage[3] oppose à cela ces paroles de Claude Binet : Ayant continué en cette volonté d’aimer et servir une des filles de la chambre de la reine jusques à la fin, il finit quasi sa vie en la louant [4]. M. de Thou remarque que Ronsard composa des vers même en mourant, et que ce furent des vers pieux et assez bons[5]. J’ai lu dans Brantôme que Chatellard, gentilhomme français décapité en Écosse pour avoir aimé la reine, et pour avoir attenté, qui plus est, à l’honneur de cette princesse, n’eut point d’autre viatique, ni d’autre préparation à la mort, que la lecture un poëme de Ronsard ; preuve évidente qu’il y trouvait beaucoup d’onction. Le jour venu ayant esté mené sur l’eschafaut, avant mourir print en ses mains les hymnes de M. de Ronsard, et pour son eternelle consolation se mit à lire tout entierement l’hymne de la mort, qui est très-bien fait, et propre pour ne point abhorrer la mort, ne s’aydant autrement d’autre livre spirituel, ni de ministre, ni de confesseur [6].

(P) Il réussit mal à corriger ses ouvrages. ] Pour donner un commentaire bien instructif, j’emprunterai une longue note de M. Ménage. « [7] Les secondes pensées des poëtes ne valent pas souvent les premières ; comme Binet l’a très-judicieusement remarqué[8] au sujet des

  1. Il jouissait des prieurés de Croix-val et de Saint-Côme.
  2. Baillet, Jugemens sur les Poëtes ; n. 1335 :
  3. Anti-Baillet, chap. CXLV.
  4. Claude Binet, Vie de Ronsard, pag. 143.
  5. Etiam dùm animam ageret aliquot piis versibus non pœnitendis factis, qui postéa cum ceteris ejus operibur editi sunt, Thuanus, lib. LXXXIII sub finem.
  6. Brantôme, Mémoires des Dames illustres, pag. m. 173.
  7. Ménage, Observations sur Malherbe, pag. 385, 386.
  8. Dans la Vie de Ronsard, pag. m. 169.