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RONSARD.

pertinences dans le poëme qui porte pour titre : des Misères du Temps ; auquel il proteste, etc.[1]. Garasse s’est abusé : le poëme des Misères du Temps n’est point la réponse à Zamariel et à la Baronnie. Ce que Ronsard fit pour se défendre contre eux est intitulé : Reponse aux injures et calomnies de je ne sçay quels predicantereaux et ministreaux de Geneve. La raison, qui anima les protestans à faire des vers contre ce poëte, est rapportée imparfaitement et par Binet, et par M. Varillas. L’un dit qu’ils le maltraitèrent pour se venger des poésies qu’il avait faites contre eux ; l’autre assure qu’ils le satirisèrent à cause de ses exploits d’armes. Il fallait joindre ensemble ces deux raisons ; car il est certain qu’ils le frondèrent parce qu’il avait employé contre eux la plume et l’épée avec beaucoup de fureur. Voici les paroles de Binet : « Cela, donna occasion à Ronsard de s’opposer à ceste nouvelle opinion, et armer les muses au secours de la France, faisant voir le jour à ses remonstrances, qui furent jugées de tant d’efficace pour combattre les ennemis de la religion catholique, que le roy et la royne sa mere l’en gratifierent, comme aussi fit le pape Pie V, qui l’en remercia par lettres expresses : ce qui fut cause que ceux de la nouvelle opinion commencerent à l’attaquer, et dresserent un poëme fort satyrique et mordant contre luy qu’ils nommoient le Temple de Ronsard, où en forme de tapisseries ils dépeignoient sa vie : ils firent aussi quelques responces à ses remonstrances où estoit ce tiltre, la Metamorphose de Ronsard, dont les autheurs furent un A. Zamariel et B. de Montdieu, ministres, le dernier desquels il designe assez par ses vers de la response qu’il luy fit, le comparant à Sisyphe,

« Qui remonte et repousse aux enfers un rocher
« Dont tu as pris ton nom[2] ....... »


Binet coupe là un auteur en deux : A. Zamariel B. de Mont-Dieu n’est qu’un seul homme[* 1]. Passons aux paroles de Varillas : De là[3] vinrent l’effroyable satire que Florent Chrétien, alors passionné calviniste et précepteur du prince de Navarre, écrivit sous le nom du ministre de La Baronie, contre le même Ronsard ; et la réponse de celui-ci, où il montra que l’indignation était capable de lui faire composer de plus beaux vers la nature, quoique son génie fût incomparable pour la poésie[4]. Il n’a pas raison de dire que Florent Chrétien écrivit sous le nom d’un ministre, ni de croire qu’il n’y eût que lui qui satirisât Ronsard. Nous avons vu qu’il avance après Théodore de Bèze et M. de Sponde que ce poëte était curé ; mais nous allons voir qu’ils se trompent.

Or sus, mon frere en Christ, tu dis que je suis prestre :
J’atteste l’Eternel que je le voudrois estre,
Et avoir tout le chef et le dos empesché
Dessous la pesanteur d’une bonne evesché :
Lors j’auroy la couronne à bon droit sur la teste,
Qu’un rasoir blanchiroit le jour d’une grand’ feste,
Ouverte, large, longue, allant jusques au front,
En forme d’un croissant qui tout se courbe en rond[5].


Ronsard dans ces vers ne nie-t-il pas formellement qu’il fût prêtre ? Et l’eût-il osé nier, s’il l’eût été ? Disons un mot pour excuser les ministres qui lui donnèrent ce titre. Il avait reçu les ordres, et il faisait des fonctions ecclésiastiques au chœur avec les habits sacerdotaux[* 2], c’est lui-même qui le raconte.

Mais quand je suis aux lieux où il faut faire voir
D’un cœur devotieux l’office et le devoir,
Lors je suis de l’eglise une colonne ferme,
D’un surpelis ondé les espaules je m’arme,
D’une haumusse le bras : d’une chape le dos,
Et non comme tu dis, faite de croix et d’os :
C’est pour un capelan, la mienne est honorée
De grandes d’or et de frange dorée[6].
.........................
Je ne perds un moment des prieres divines :

  1. * La Monnoie ayant ici blâmé Bayle, Bayle est défendu par Joly, qui cite le Chævreana, I, 156.
  2. * Leclerc observe que le surplis, l’aumusse et la chape, dont Ronsard parle dans ses vers, ne sont point des habits sacerdotaux.
  1. Garasse, là même, pag, 126, 127.
  2. Binet, Vie de Ronsard, pag. 138, 139. Voyez aussi l’Oraison funèbre par du Perron, pag. 197, où l’on ne trouve que la même raison que Binet allègue.
  3. C’est-à-dire de ce que Ronsard avait pris les armes contre les protestans.
  4. Varillas, Hist. de Charles IX, liv. III, pag. 171, 172.
  5. Ronsard, Réponse à quelque ministre, pag. m. 80.
  6. Là même, pag. 94.