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RONSARD.

estoit venu espouser[1] Madame Magdaleine, fille du roi François. Le roi d’Écosse l’emmena en son royaume où il demeura deux ans[2], en Angleterre six mois, après quoi il retourna en France, et se retira vers le duc d’Orleans son maistre, qui le retint page en son escurie, et qui le depescha pour quelques affaires en Flandres et Zelande, avec charge expresse de passer jusques en Écosse, ce qu’il fit...... Retourné qu’il fut de ce voyage, ayant atteint seulement l’aage de 15 à 16 ans, ayant esté au duc d’Orleans cinq ans et jusques à son decez, et depuis à Henry, qui fut depuis roi, l’an 1540, fut mis en la compagnie de Lazare de Baif..... qui alloit ambassadeur pour le roi à la diète de Spire[3]. Ce récit nous montre, 1°. que Ronsard n’avait point appris le métier des armes en Écosse, autrement que chez le duc d’Orléans, et autrement que tous les pages des princes l’apprennent. 2°. Que M. de Sponde s’est mal exprimé, et qu’il n’a point su que notre poëte, étant en Écosse, n’avait qu’environ treize à quatorze ans, et qu’à son retour en France on le mit page chez le père du dauphin. On m’objectera peut-être que je ne dois pas réfuter cet annaliste par la narration de Claude Binet, toute remplie de fautes. C’est une difficulté, si l’on veut, mais qui ne m’empêche point de croire que Claude Binet ne se trompe point à l’égard du temps que Pierre Ronsard fut donné page au roi d’Écosse, il se trompe néanmoins fort grossièrement dans son calcul ; car si Ronsard avait été au duc d’Orléans cinq ans et jusques à son decez, il aurait servi ce prince jusqu’en l’année 1545 ; et si depuis ce temps-là il eût été au service du dauphin Henri, comment serait-il possible qu’il eût été mis ensuite auprès de Lazare de Baïf, l’an 1540 ? D’ailleurs il est vrai que Lazare de Baïf, allant de la part du roi en Allemagne avec le caractère d’ambassadeur, l’an 1540, prit avec lui notre Ronsard qui sortait de page[4]. Quoi qu’il en soit, M. Varillas a donné dans le panneau que M. de Sponde a tendu à ses lecteurs. « On inventa de nouveaux supplices pour punir les calvinistes de Vendôme, à cause que les plus emportés d’entre eux avaient fouillé dans les sépulcres des ancêtres du roi de Navarre : et le fameux poëte Ronsard, gentilhomme du pays, qui lassé de la cour et de vivre peu accommodé dans sa maison, avait accepté la cure d’Évailles, reprit les armes qu’il avait autrefois portées en Écosse et en Angleterre. Il s’en excusa depuis en disant agréablement, que n’ayant pu défendre ses paroissiens avec la clef de saint Pierre, que les calvinistes ne respectaient ni ne craignaient, il avait pris l’épée de saint Paul, et, se mettant à la tête de la noblesse voisine, avait garanti du pillage son église et sa paroisse [5]. » Vous voyez qu’il suppose faussement que Ronsard porta les armes en Écosse et en Angleterre.

(E) Il se défendit en vers, et nia qu’il fût prêtre. ] Le ministre Chandieu et Florent Chrétien étaient les auteurs des pièces que l’on publia contre lui à Orléans. Le premier se déguisa sous le nom de A. Zamariel B. de Mont-Dieu, et le second sous celui de François de la Baronnie[6]. Voici ce qu’en dit le père Garasse : « Ces deux hommes lui firent une mercuriale sanglante qui s’appelle la Métamorphose de Ronsard en prêtre, ou le Temple de Ronsard, et là dedans ils le taxent nommément d’avoir enseigné l’athéisme.

« Je t’ay veu discourir tout ainsi qu’Epicure
« Qui attacheois au ciel un dieu qui n’a la cure
« De ce qu’on fait en bas, et en parlant ainsi
« Tu monstrois que de luy tu n’avois grand soucy, etc.


« ..... Mais Ronsard a reparti solidement à leurs scurrilités et im-

  1. Il l’épousa à Paris, le 1er . de janvier 1537.
  2. Du Perron, dans l’Oraison funèbre de Ronsard, pag. 193, dit qu’il séjourna en Écosse deux ans et demi.
  3. Tiré de Claude Binet, Vie de Ronsard, pag. 115 et suiv.
  4. Voyez les vers d’Antoine de Baïf, rapportés par M. Ménage, Remarque sur la Vie d’Ayrault, pag. 196.
  5. Varillas, Histoire de Charles IX, tom. I, pag. 171, édition de Hollande, à l’ann. 1562.
  6. Consultez la Doctrine curieuse du père Garasse, pag. 126 et 1022, et La Croix du Maine, pag. 88.