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RONSARD.

en d’autres mains. Il ne fut pas si malheureux à l’égard des poésies qu’il adressa à Charles IX ; il en fut payé assez largement (K). Il plaida contre Joachim du Bellai, pour recouvrer quelques odes qu’on lui détenait, et qu’on lui avait dérobées adroitement (L). Ils s’accordèrent ensuite, et vécurent en bons amis. Il aurait mieux réussi à faire des vers galans, s’il n’avait pas pris pour modèle les anciens poëtes. Il se rendit dur et obscur par le trop fréquent emploi de leurs fables (M). Il s’émancipa même quelquefois comme eux à mêler dans ses ouvrages quelques expressions obscènes (N), et en général il tomba dans plusieurs profanations, et répandit trop de paganisme sur ses poésies, qui furent pourtant payées d’un bien sacré (O). Les jugemens sont fort partagés sur la qualité de ses productions, comme on le verra dans M. Baillet[a]. Voyez aussi les remarques du sieur Sorel sur le Berger extravagant [b] : on y trouve un détail de critique assez curieux et assez solide contre ce poëte.

Je ne veux pas oublier qu’on a remarqué qu’il réussit mal à corriger ses ouvrages (P) : il en ôtait le meilleur. C’est un défaut bien incommode, et où quelques autres écrivains tombent malheureusement. Disons aussi que le lieu commun des railleries, que les poëtes sont mal logés, a été mis en usage contre Ronsard (Q).

  1. Jugemens sur les Poëtes, num. 1335.
  2. Sur le XIIIe. livre, pag. 647 et suiv.

(A) De noble maison. ] Louis de Ronsard, son père, fut chevalier de l’ordre et maître d’hôtel de François Ier., qui le choisit pour accompagner François, dauphin de Viennois, et Henri, duc d’Orleans, ses enfans, en Espagne, pendant qu’ils furent en hostage pour le roi leur pere[1]. Il épousa Jeanne Chandrier[* 1], dont la maison étoit alliée à celle de la Trimouille, etc., et par conséquent à celle de Craon, de laquelle sont descendus, par l’alliance de l’emperiere Malthilde, les rois d’Angleterre [2] ; de maniere qu’il[3] mettoit en evidence que Ronsard estoit allié au seize ou dixseptiesme degré d’Elizabet royne d’Angleterre. On prétend que Louis de Ronsard étoit issu d’un Baudouin cadet d’une grande maison [4], sur les confins de la Hongrie et de la Bulgarie, lequel avait amené une compagnie de gentilshommes au roi Philippe de Valois[5]. On prétend même qu’il se trouve une seigneurie appellée le marquisat de Ronsard[6], dans l’endroit où le Danube voisine de plus pres le pays de Thrace[7] ; mais je crois que nous pouvons mettre tout cela au nombre de tant de chimères, que la plupart des maisons nobles racontent de leurs premiers fondateurs[8]. Elles aiment passionnément à se dire issues des pays les plus éloignés, et de quelque cadet de noble race, brave aventurier, dont les beaux exploits méritèrent cent récompenses du prince qu’il vint servir, S’il n’y avait que trois ou quatre familles qui contassent de telles choses, on n’aurait pas tant de penchant à s’en moquer. Au reste, l’au-

  1. * La Monnoie, dans ses notes sur La Croix du Maine, dit qu’il faut lire Chaudrier et non Chan- drier, comme Bayle et d’autres ont lu, trompés par de mauvaises éditions.
  1. Binet : Vie de Ronsard au IXe. tome des Œuvres de Ronsard, in-12, p. 113, Notez que du Perron, dans l’Oraison funèbre de Ronsard, au même volume, pag. 189, ne dit pas que Loys de Ronsard ait été maître-d’hôtel de François Ier., mais de Henri II.
  2. Binet, là même, pag. 112.
  3. C’est-à-dire le sieur du Faux, Angevin, dans ses Mémoires. Il y a dans mon édition, le sieur du Faur ; mais j’apprends de La Croix du Maine que cet auteur s’appelait Pascal Robin du Fauz.
  4. Binet, Vie de Ronsard, pag. 112.
  5. Là même, pag. 113
  6. Là même.
  7. Là même, pag. 112.
  8. Voyez, dans ce volume, pag. 92, remarque (C) de l’article Pinet.