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RONSARD.

pour qui j’ai depuis long-temps bien de la considération. Je n’ai pas besoin de m’opposer à ses remarques ; car il paraît qu’il n’accuse M. de Seckendorf d’avoir mutilé des passages qu’en ce qui concerne les dogmes de la demoiselle Bourignon, et moi je ne le cite qu’en ce qui concerne une matière de fait, et je confirme presque toujours, par d’autres passages, ce que j’emprunte de lui. Je n’ai point sujet de croire qu’à cet égard-là ses préventions l’aient aveuglé. Après tout, s’il était aussi coupable qu’on le prétend, l’eût-on laissé en repos ? M. Poiret, qu’il a réfuté, n’eût-il point repris la plume pour le convaincre de supercherie ?

Je ne réponds rien à plusieurs autres observations de l’anonyme. Ce sont tous reproches vagues, et des signes manifestes de sa trop grande sensibilité, et du besoin où il est encore de mortifier les sens internes. Ce n’est pas le tout que de se mortifier à l’égard des sens externes, il faut principalement porter le cautère sur l’appétit irascible. Je l’exhorte à y bien songer, et je le renvoie ou aux réponses que j’ai déjà faites[1], ou à cette observation générale qu’il n’y aurait rien de plus inutile que de s’engager à des justifications sur des plaintes avancées sans aucune preuve précise. Quand on m’objectera quelque chose de particulier avec quelque discussion des argumens que l’on tirera d’un tel ou d’un tel endroit de mon Dictionnaire bien cité, je ne refuserai pas la voie des procédures ; mais à l’égard des reproches généraux, je me contenterai d’un appel à des lecteurs équitables.

  1. Dans mes Réflexions sur le Jugement du Public, qu’il a cité, dans sa Lettre sur les Auteurs mystiques, pag. 312, 313.

RONSARD (Pierre de), poëte français de noble maison (A), naquit dans le Vendômois la même année que François Ier. fut fait prisonnier devant Pavie. Cette circonstance du temps a fait faire des réflexions peu judicieuses (B). Il pensa périr le jour même de sa naissance ; mais ce péril fut accompagné d’un incident qui a donné lieu des traits d’esprit aussi peu solides que ces réflexions (C). Il se mit à la tête de quelques soldats dans le Vendômois, l’an 1562 et fit un aussi grand carnage qu’il lui fut possible de ceux de la religion (D). Cela fut cause qu’on fit imprimer à Orléans quelques pièces fort sanglantes, où l’on supposait qu’il était prêtre. Il se défendit en vers, et nia qu’il fût revêtu de ce caractère (E). Ce qu’il y a de bien certain est qu’il avait en commende quelques bénéfices, et entre autres le prieuré de Saint-Côme, proche de Tours. Il y mourut le 27 de décembre 1585, et y fut enterré d’une manière peu distinguée : mais vingt-quatre ans après où y érigea en son honneur un beau monument (F). La goutte lui fit souffrir des douleurs cruelles. On dit que ses débauches l’exposèrent à ce malheur (G). Il y a dans ses ouvrages un nombre infini de poésies galantes qui nous apprennent qu’il eut trois maîtresses principales [a]. La dernière ne lui servit que d’amusement et de sujet poétique (H).

Il est même vrai qu’il fit souvent des vers d’amour qui n’étaient que des pièces de commande : il les faisait à la prière de quelques seigneurs de la cour ; ce n’était donc pas ses sentimens qu’il décrivait, mais ceux d’autrui. Quand il se souvenait de cela, il en avait du chagrin ; car il se souvenait en même temps que ces poésies de contrainte ne lui avaient rien valu (I), la récompense étant tombée

  1. Voyez la remarque (H).