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PLOTIN.

enneades, et roulent sur des matières bien abstraites.] C’est à Porphyre que l’on doit attribuer l’arrangement, la division et le titre des ouvrages de Plotin. Ils regardent presque tous la métaphysique la plus guindée, et il semble qu’en certains points ce philosophe ne s’éloignait pas beaucoup du spinosisme. Il n’y a presque point de siècle où le sentiment de Spinosa n’ait été enseigné. Cet impie n’a que le malheureux avantage d’être le premier qui l’ait réduit en système selon la méthode géométrique. Que voulait dire Plotin quand il fit deux livres pour prouver, Unum et idem ubique totum simul adesse [1]  ? N’était-ce pas enseigner que l’Être qui est partout est une seule et même chose ? Spinosa n’en demande pas davantage. Plotin examine dans un autre livre s’il n’y en a qu’une seule : Utràm omnes animæ una sint. Il s’appliquait beaucoup à l’étude des idées ; il fit un livre pour examiner s’il y a des idées des choses singulières, et un autre où il prouvait que les objets intellectuels ne sont pas hors de l’entendement, ὅτι οὐκ ἔξω τοῦ νοῦ τὰ νοητὰ quod intelligibilia non sint extrà intellectum.

  1. Τὸ ὄν πανταχοῦ ὅλον εἶναι ἓν καὶ ταὐτὸ. Porphyr. pag. 4, C.

(E)On y remarque trois sortes d’âges de l’esprit de leur auteur.] Les premiers et les derniers livres qu’il composa sont fort au-dessous des autres. On voit dans les premiers une force qui n’a pas encore toute sa crue, et dans les derniers une force qui n’a plus toute sa crue. C’est dans les écrits du milieu qu’on voit une force montée au plus haut degré. Voilà donc trois ordres de livres : il y en a vingt-un dans le premier, vingt-quatre dans le second, neuf dans le dernier. De ces neuf, les cinq premiers étaient moins faibles que les quatre autres ; tant il est vrai, généralement parlant, que l’esprit passe par les mêmes vicissitudes que le corps : on connaît l’âge d’un auteur aux traits de sa plume, presque aussi facilement qu’aux traits du visage [1]. Voici les paroles de Porphyre, selon la traduction latine. Quemadmodùm verò conscripti sunt alii alii quidem in cetate prima, alii verò in ipso vigore vitæ : alii deniquè defesso jam corpore, sic fermè libri vim similem ipsi declarant. Primi namque unus atque viginti, si cùm proximè sequentibus conferantur, leviorem vim habere videntur, nondùm satis constans robur habentem. Qui verò medio tempore compositi sunt, virtutis florem præferunt ad summum usquè vigentem. Talesque sunt quatuor et viginti (exceptis quibusdam paucis) perfectissimi. Ultimi deniquè novem remissiorem jam referunt facultatem ; idque postremi quatuor magis quàm antecedentes quinque declarant. Cette traduction est de Marsile Ficin. Ce docte personnage n’eut pas plus tôt achevé de traduire Platon, qu’il sut de Jean Pic, comte de la Mirandole, que Cosme de Médicis souhaitait la traduction de Plotin. Marsile ignorait cela, parce que Cosme n’avait pas voulu lui demander tout à la fois la version de ces deux auteurs, et qu’il avait trouvé plus raisonnable de lui faire connaître son désir touchant Plotin, après que la traduction de Platon aurait été achevée. Marsile entreprit ce nouveau travail, et en vint à bout. Il a non-seulement traduit Plotin, mais il a fait aussi des sommaires et des analyses sur chaque livre [2]. C’est ce qu’on nomme les Commentaires de Marsile Ficin. Ce mot est trompeur en cette rencontre ; car on s’attend à voir des notes critiques sur le texte grec, et des explications sur les passages difficiles et sur les pensées enveloppées de l’auteur : voilà ce que l’on entend par commentaire. Ici la signification de ce mot est toute autre. J’ai cru ne devoir pas laisser mon lecteur dans les ténèbres de cette équivoque, comme M. Moréri l’y a laissé.

  1. M.  Baillet, au Ier tome des Jugemens des Savans, pag. 351 et suiv. rapporte beaucoup de choses curieuses sur ceci.
  2. On réimprima sans le grec sa Version latine et ses Commentaires, à Bâle, l’an 1559, in-folio.

(F) Ses manières en composant tenaient beaucoup de la singularité qui lui était propre.] Il ne relisait jamais ce qu’il avait composé ; il formait mal les lettres, et ne distinguait point les syllabes ; il n’avait nulle exactitude pour l’orthographe ; toute son attention était sur les choses, et sur les pensées ; il persévéra toute sa vie dans ce train. Mais voici une chose bien