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PLOTIN.

Hé ! comment pourrais-je prétendre
De guérir les mortels de cette vieille erreur,
Qu’ils aiment jusqu’à la fureur,
Si moi qui la condamne ai peine à m’en défendre ?
Ce portrait dont Apelle aurait été jaloux,
Me remplit malgré moi de la flatteuse attente
Que je ne saurais voir dans autrui sans courroux.
Faible raison que l’homme vante !
Voilà quel est le fonds qu’on peut faire sur vous ?
Toujours vains, toujours faux, toujours pleins d’injustices,
Nous crions dans tous nos discours
Contre les passions, les faiblesses, les vices
Où nous succombons tous les jours.

Cela donne un grand relief au triomphe que Plotin remporta sur la faiblesse générale ; et tous les vrais philosophes doivent avoir de la joie qu’on si beau triomphe ait été réservé pour un de leurs grands héros. Plotin fut peint, je l’avoue ; mais il men out rien ; Amélius mena un excellent peintre dans l’auditoire. Ce peintre regarde Plotin, autant qu’il voulut, et le peignit d’après l’image qu’il s’en était faite dans son cerveau : le portrait fut très-ressemblant ; Amélius avait pris la peine de faire corriger tous les traits qui avaient besoin d’être retouchés [1]. Autre triomphe de Plotin. Il ne voulut jamais dire ni le jour ni le mois de sa naissance [2]. C’est qu’il ne souhaitait point qu’on la célébrât avec des festins, et des sacrifices. Il ne manquait pas de célébrer de cette manière celle de Socrate et celle de Platon [3]. N’était-ce pas se détacher des fumées d’un renom immortel ?

Incertain si je trouverai une occasion plus naturelle d’employer une remarque que j’ai lue dans Le Furetiériana, je la mets ici à bon compte. « On reconnaît aisément les femmes coquettes à la manière de s’habiller, au monde qu’elles reçoivent chez elles, à leurs domestiques, à leur façon de parler ; mais on les reconnaît aussi au nombre des copies qu’elles font faire de leurs portraits. Une de ces femmes s’étant fait peindre un jour par mademoiselle le Hay, elle fit faire cinq copies de son portrait. Eh ! mon Dieu, dit un cavalier, pourquoi cette femme fait-elle faire tant de portraits ? Quoniàm multiplicatæ sunt iniquitates ejus, dit agréablement mademoiselle le Hay [4] *. »

  1. Idem Porphyr., in Vitâ Plotini, pag. 2, C.
  2. Voyez Porphyre, dans la Vie de Plotin.
  3. Voyez la même Vie.
  4. Furetiériana, p. 171, édition de Hollande. Leclerc dit que Bayle aurait dû remarquer que la personne dont il est question dans le Furetiériana, sous le nom de mademoiselle le Hay, n’est autre que mademoiselle Chéron, auteur des vers cités dans cette remarque (A). Mademoiselle Chéron, à l’âge de soixante ans, avait épousé M. le Hay, ingénieur du roi, et à peu près du même âge qu’elle.

(B) Il refusa de se servir de plusieurs choses qui passaient pour fort utiles à la santé.] Il ne se servit jamais ni de préservatifs, ni de bains, ne mangea pas même de la chair de bêtes privées [1]. Il mangeait peu, et il se privait souvent du pain ; ce qui, avec la forte méditation de son âme, était cause qu’il ne dormait guère [2].

  1. Οὔτε τὰς θηριακὰς ἀντιδότους λαβεῖν ὑπέμεινε, μη δὲ τῶν ἡμέρων ζῴων τὰς ἐκ τοῦ σώματος τροφὰς προσίεσθαι λέγων, λουτροῦ δὲ ἀπεχόμενος Neque theriaca antidota unquàm accepit, cum nec ex animalium quoque mansuetorum corporibus capere escam se diceret. Abstinebat et balneis Porphyr., in vitâ Plotini, pag. i.
  2. Idem, pag. 6, sub fin.

(C) Il fallut que Plotin, pour traiter plus exactement les choses, composât des livres.] Il est presque impossible de vider aucune question par de simples conférences, ou par des disputes de vive voix. On donne et l’on prend aisément le change, et l’on oublie le commencement avant que d’être à la fin. Je ne m’étonne donc pas que Porphyre réduisît son maître à la nécessité de s’expliquer par écrit. Plotin demeura d’accord que c’était le vrai moyen d’instruire à fond un disciple ; mais il trouvait aussi fort nécessaire qu’avant qu’il mît la main à la plume, il entendît les objections et battît le fer dans des conférences. C’est ce qu’il répondit à un homme qui se plaignait des fréquentes interrogations et répliques de Porphyre. Nisi dubitationes interrogante Porphyrio dissolvamus, commentario ratione perpetuâ quioquam in librum non valebimus [1]. Il disputa trois jours de suite sur les doutes que Porphyre lui proposait touchant la manière dont notre âme est unie au corps.

  1. Porphyr., in Vitâ Plotini, pag. 6.

(D) Ses écrits sont divisés en six