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PLOTIN.

[1]. Il commence de fort bonne heure à paraître très-singulier dans son goût et dans ses manières ; car à l’âge de huit ans, lorsqu’il allait déjà à l’école, il ne laissait pas d’aller trouver sa nourrice, et de lui découvrir les mamelles afin de tetter, ce qu’il faisait avidement. Il cessa d’en user ainsi avec elle, lorsqu’on l’eût grondé comme un enfant importun. À l’âge de vingt-huit ans il eut un désir extrême d’étudier en philosophie : on le recommanda aux plus célèbres professeurs d’Alexandrie ; mais il n’en fut point content ; il revenait de leurs leçons tout mélancolique. Un de ses amis, ayant su la cause de ce dégoût, n’y trouva point de meilleur remède que de le mener aux leçons d’Ammonius. Il ne conjectura point mal ; car dès que Plotin eut ouï ce philosophe, il confessa à son ami que c’était l’homme qu’il cherchait. Il passa onze ans de suite auprès de cet excellent maître, et devint un grand philosophe. Mais les belles connaissances qu’il avait acquises ne servirent qu’à lui inspirer un désir ardent d’en acquérir de nouvelles, et de savoir ce que disaient les philosophes persans et les philosophes indiens. Il ne perdit point l’occasion qui lui fut fournie par la guerre que l’empereur Gordien alla faire aux Perses [2]. Il suivit l’armée romaine, et s’en repentit sans doute ; car il eut peine à sauver sa vie par la fuite, après que l’empereur eut été tué. Il avait alors trente-neuf ans. L’année suivante il fit un voyage à Rome, et y fit des leçons de philosophie. À la vérité, il y débitait ce qu’il avait ouï de son maître Ammonius ; mais il n’imita point l’exemple d’Érennius et d’Origène, ses condisciples, qui, s’étant engagés avec lui de ne point communiquer au public les plus belles choses qu’Ammonius leur avait apprises, avaient mal observé cette convention. Pour lui, il fut dix ans à Rome sans composer aucun livre ; et lorsqu’il en eut composé une vingtaine, il ne les communiqua qu’à des gens dont il connaissait l’esprit judicieux. Il était dans sa cinquantième année lorsque Porphyre devint son disciple. Un disciple de cette force ne pouvait manquer de lui donner de l’occupation. Porphyre ne s’arrêtait point à des réponses superficielles ; il voulait qu’on lui expliquât à fond les difficultés : il fallut donc que Plotin, pour traiter plus exactement les choses, composât des livres (C). Il en composa vingt-quatre pendant les six ans que Porphyre fut auprès de lui, et ces vingt-quatre joints aux vingt et un qu’il avait faits avant l’arrivée de Porphyre, et aux neuf qu’il composa depuis que ce disciple fut sorti de Rome, font en tout cinquante-quatre livres. Ils sont divisés en six ennéades, et roulent sur des matières bien abstraites (D). On y peut voir trois sortes d’âges de l’esprit de leur auteur (E). Ses

  1. Κυλιακῇ δὲ νόσω πολλάκις καταπονούμενος οὖτε κλυστήρος ἐνέσχετο, οὐκ εἶναι πρὸς τοῦ πρεσβυτέρου λέγων ὑπομένειν τὰς τοιαύτας θεραπείας. Preindè cùm sapè colico vexaretur morbo, semper clysteros renuit negans decere sexam curationes ejusmodi. Porphyr. in vitâ Plotini, pag. i. Au lieu de colico, le traducteur eût dû dire cæliaco.
  2. En 243.